Ce n’est pas vraiment le dossier prioritaire du moment pour les agriculteurs et d’ailleurs, cela ne fait pas partie de leurs revendications, mais la vitesse maximale autorisée en tracteur sur la voie publique passe de 40 à 60 km/h, à condition que l’engin soit homologué pour cette vitesse. Cet assouplissement inédit est le fruit de la rencontre entre la nouvelle règle européenne d’homologation des tracteurs (Mother Regulation) et une interprétation de la réglementation par le ministère de l’Intérieur.

Des tracteurs 50 ou 60 km/h vendus légalement

En France, la réglementation impose une vitesse limite de 40 km/h pour les tracteurs agricoles. Jusqu’en 2017, les tracteurs capables de rouler plus vite, par exemple ceux vendus en Allemagne, devaient obligatoirement être bridés pour être commercialisés en France, conformément à la réglementation nationale.

Mais depuis le 1er janvier 2017 et l’entrée en vigueur de l’homologation européenne Mother Regulation, les tracteurs sont divisés en différentes catégories, de T1 à T5. Pour chacune d’elles, une sous-catégorie sépare les engins limités par construction à 40 km/h (Ta) de ceux roulant au-delà (Tb).

Comme la réglementation nationale n’a plus cours, ces tracteurs homologués à 50 ou 60 km/h sont vendus en l’état et en toute légalité sur le marché français. Il appartient à l’agriculteur ou à l’entrepreneur de travaux agricoles (ETA) de respecter le code de la route et de ne pas dépasser 40 km/h.

Une interprétation de la notion d’ensemble agricole

Mais depuis quelques semaines, une rumeur enflait dans les rangs des constructeurs sur une possible réinterprétation de la règle des 40 km/h par le ministère de l’Intérieur. C’est désormais confirmé ! L’article R413-12-1 du code de la route qui limite la vitesse de circulation à 25 ou 40 km/h selon l’attelage ne concerne que les ensembles agricoles.

Le ministère de l’Intérieur considère qu’il s’agit d’un ensemble composé d’un tracteur et d’un matériel attelé. Cette nouvelle interprétation exclut donc de fait les tracteurs circulant à vide de la limitation à 40 km/h.

Des conditions et des questions en suspens

Concrètement, cela signifie qu’il est désormais autorisé de circuler à 50 ou 60 km/h avec un tracteur à vide, ce qui ne présente en soi qu’un intérêt limité. Seule condition : que le tracteur soit homologué pour ces vitesses. Les représentants des utilisateurs accueillent la nouvelle avec retenue et circonspection.

La FNCuma notamment, par la voix de Stéphane Chapuis, son spécialiste technique, s’inquiète de la sécurité des chauffeurs et des éventuelles contreparties qui seront exigées. Sur ce point, les constructeurs manquent encore d’informations précises, comme le souligne Nicolas Bredrune, chef de produit en tracteurs chez Deutz-Fahr : « Est-ce que les agriculteurs, les entrepreneurs et leurs salariés bénéficieront toujours de la dispense de permis pour conduire ces tracteurs, y compris à 60 km/h ? Nous attendons aussi des précisions sur la possibilité de rouler à ces allures élevées avec du carburant détaxé. » Les représentants des transporteurs sont en effet très vigilants sur ce point et prompts à dénoncer une concurrence déloyale dès que des agriculteurs et ETA roulent à plus de 40 km/h avec du GNR détaxé.

Le spectre du permis tracteur

Si les représentants des agriculteurs ne se sont jamais mobilisés pour faire évoluer la vitesse maximale des tracteurs sur la route, c’est aussi parce qu’ils craignent la mise en place d’un permis tracteur, comme c’est le cas chez de nombreux voisins européens. « Une préoccupation légitime car rouler à 60 km/h en tracteur demande une bonne maîtrise et de la technique », estime Trame depuis la mise en circulation de ces tracteurs homologués à 50 km/h et plus.

Les représentants des agriculteurs redoutent aussi la mise en place d’un contrôle technique annuel obligatoire, comme c’est le cas en Allemagne. Mais ce que craignent surtout les FDCuma et les représentants d’agriculteurs, c’est la flambée des accidents. Car l’exemple du passage de 25 à 40 km/h il y a 20 ans a montré une chose : les agriculteurs rouleront à 50 ou 60 km/h avec une remorque et un outil lourd, quelle que soit la réglementation, si le tracteur leur en offre la possibilité.

Corinne Le Gall