vendredi 18 septembre 2020

Agriculture de conservation des sols : un virage à 90° en seulement deux ans



Jean-Christophe Leicher dans un champ de colza associéPour cette campagne 2020/2021, Jean-Christophe Leicher a associé son colza, semé au 14 août, avec lin, tournesol, sarrasin, féverole et vesce.  (©Terre-net Média)

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Réduction des intrants, semis direct sous couvert végétal, enrobage des semences fermières fait maison... : Jean-Christophe Leicher a opéré, en quelques années, un virage assez radical des pratiques culturales sur l’exploitation familiale euroise.

Après deux campagnes de transition vers l’agriculture de conservation des sols (ACS), Jean-Christophe Leicher, installé depuis neuf ans sur l’exploitation familiale avec son père, témoigne : « je me sens mieux dans mon métier ». Parmi les changements opérés : plus de recours au travail du sol, excepté pour la culture de pommes de terre et un passage au semis direct sous couvert végétal. « La clé, c'est le stockage du carbone ! » Pour aller dans ce système, l'agriculteur a beaucoup appris auprès d'autres collègues, adeptes de l'ACS depuis plusieurs années.

Présentation de l’exploitation de la famille Leicher, basée à Bosroumois (Eure)  
SAU :  120 ha dont 26 ha en agriculture bio 
Assolement 2019-2020 : 6,5 ha pommes de terre conso (départ bout de champ grenaille) (1ère année), 15,5 ha lin fibre, 1,5 ha sarrasin, 2 ha avoine/vesce (couverts), 9 ha colza associé (sous couvert permanent), 26 ha de blé, 3,85 ha d’orge d’hiver, 24 ha maïs fourrage, 2,5 ha sorgho/luzerne (sorgho multicoupe, semis fin mai, irrégulier, fourrage), 1 ha pois (semé en janvier), 1 ha de féverole (allélopathie adventices), 27 ha prairies 
Atelier laitier : 280 bêtes, dont 60 VL de race prim'holstein. Production : 580 000 l de lait
Atelier porcin : atelier de naisseur sur un site dans le Calvados regroupant 5 élevages et sur le site de Bosroumois, 1 200 porcs à l'engraissement
Types de sols : limons profonds

« Dans le secteur, l'ACS a du mal à se démocratiser », observe Jean-Christophe. Il a toutefois lancé la création d'un groupement d’intérêt scientifique, le GIS du Roumois, qui compte aujourd’hui 8 agriculteurs réguliers et avec qui il dispose de deux semoirs directs Horsch dans des Cuma différentes : un Avatar de 4 m et un Pronto de 6 m. Le groupe permet d'avancer avec les expériences de chacun. Outre le semoir, Jean-Christophe Leicher insiste sur l'importance d'un autre outil de travail aujourd'hui : son téléphone portable, moyen d'échange avec d'autres collègues. Cela permet « parfois aussi de se rassurer », plaisante le membre actif de la page Facebook « L'agriculture de conservation : le semis direct, les TCS, les couverts... ».

« Mes cahiers de plaine ont bien changé »

Au-delà du semis direct, Jean-Christophe Leicher a également initié une réduction du recours aux intrants sur ses cultures depuis quatre ans environ, face au contexte d'agribashing ambiant. L'agriculteur, qui ne faisait « aucune impasse » auparavant, indique aujourd'hui « avoir plus de mal avec la chimie ». La réduction des phytos passe notamment par différents leviers agronomiques comme retarder la date de semis... Jean-Christophe utilise aussi « des semences fermières pour le blé, l'orge, les pois et le colza : on perd un peu en potentiel de rendement, mais on gagne en résistance face aux maladies ». Ainsi il n'utilise quasiment plus de fongicides, ni de régulateurs.

Les enrobages de semences sont « faits maison » avec « des acides humiques et fulviques, thé de compost, mélange de canne... ». Là encore, l'appui d'autres agriculteurs l'a beaucoup aidé, comme Jean-Charles Devilliers, agriculteur en Haute-Marne, « le tôlier du thé de compost en France », comme le présente Jean-Christophe. Pour comparer et voir ce qui fonctionne, l'agriculteur a mis en place sa propre "plateforme d'essais" avec 16 modalités différentes. Il teste également le maïs population : sur 40 ares implantés cette année, il compte sélectionner les 160 poupées les plus belles pour constituer le stock semencier des campagnes suivantes (le protocole de sélection est encore en cours de réflexion). Le reste sera utilisé en semences pour la campagne 2021. L'idée est de « revenir vers plus de naturel » et de « sélectionner des semences mieux adaptées aux conditions pédo-climatiques de l'exploitation ».

Semences de maïs, associées à du tournesol et du sorgho. Enrobage de semences fait maisonSemences de maïs, associées à du tournesol et du sorgho. Enrobage de semences fait maison (©Jean-Christophe Leicher)

Jean-Christophe Leicher insiste sur l'importance de faire des essais. « Je fais les choses à ma manière, ce n'est peut-être pas toujours les bonnes méthodes ». Mais c'est aussi « dans l'échec qu'on se construit ». Sur lin, il utilise du purin d'orties pour « essayer de rendre les plantes les moins appétantes possibles face aux altises ». Le purin d'orties sert également sur colza : en complément des plantes compagnes (trèfle, sarrasin, féverole), il permet de limiter les soucis d'insectes à l'automne et au printemps. Les larves de charançon du bourgeon terminal ont, par contre, stoppé la floraison la campagne passée. L'agriculteur estime la perte de rendement à environ 10 q/ha... Il n'a toutefois utilisé aucun insecticide, aucun fongicide et aucun régulateur.

La parcelle de colza a reçu une fertilisation organique et 80 unités d'azote liquide, ainsi qu'une « "panoplie d'oligo-éléments, acide humique, extrait de plantes vertes" pour stimuler la floraison et l'assimilation d'éléments (6 passages) ». Bilan : 34 q/ha en colza et 4 q/ha de féverole, grâce à l'andainage (coût : 80 €/ha). « Une culture rentable avec un IFT très bas », note l'agriculteur. « Il faut prendre en compte aussi qu'il s'agit des premières années en semis direct ».

Retrouvez le détail de l'itinéraire technique colza 2019/2020 ci-dessous :

Pour le blé, aucun insecticide et régulateur non plus, en fongicides : un quart de dose en fin de cycle, afin de « protéger la dernière feuille ». Et côté désherbage : 0,8 l/ha de glyphosate et 1 l/ha de Défi. L'agriculteur a également apporté « 170 unités d'azote, un thé de compost à la reprise de végétation, un extrait de luzerne et du purin d'orties, accompagné de mélasse et d'oligo-éléments ». Résultat : 88 q/ha et 81 kg/hl en PS. « Il manque 10 q/ha par rapport à ce que l'on fait en conventionnel, soit 170 €/ha au résultat brut. Mais c'est aussi « 170 € qui n'ont pas été utilisés dans le travail du sol, le fioul, l'amortissement du matériel, les fongicides et raccourcisseurs, etc. Une culture rentable avec un compte-rendu environnemental au top, résume Jean-Christophe Leicher. Sans les problèmes de densité, de profondeur et de date de semis, on aurait pu obtenir ces 10 q/ha supplémentaires... » De plus, « le capital fertilité devrait s'accroître et le potentiel augmenter rapidement ».

Plus de détails sur l'itinéraire technique du blé :

Agriculture biologique, agroforesterie... et d'autres projets à venir

Et l'exploitation de Jean-Christophe fourmille d'autres projets. Il a notamment passé 26 hectares de sa surface en agriculture biologique (C1 : 2019/2020). « J'avais techniquement envie de le faire. » Parmi les 26 ha, 10 ha situés au pied de la ferme sont aussi en agroforesterie : 300 arbres plantés en janvier dernier. Parmi les espèces utilisées : alisier torminal, cormier, érable plane, noyer commun et noir, orme champêtre et tilleul des bois pour la zone cultivée, et pour les herbages, des pommiers et des poiriers. Et il compte en implanter 700 supplémentaires à l'automne. Il met en avant « la symbiose entre arbres et plantes », mais aussi « entre arbres et animaux ». Il aimerait à terme développer un atelier volaille de chair. « Les volailles ont notamment une action bénéfique face au parasitisme pour les arbres. »

Parcelle en agroforesterie au pied du corps de fermeLa parcelle en agroforesterie au pied du corps de ferme. (©Jean-Christophe Leicher)

Pour poursuivre dans cette philosophie, Jean-Christophe Leicher envisage aussi de passer l'élevage bovin laitier en bio ou bien d'arrêter le lait. Même si la génétique du troupeau suivi par son père est bonne, « l'installation étant un peu vétuste, il faudrait beaucoup d'investissements pour continuer au même niveau ». Même réflexion pour l'atelier porcin hors-sol, pourquoi pas passer sur un élevage de porcs sur paille ? Bien sûr, « tout cela doit se faire progressivement », précise Jean-Christophe Leicher. Rendez-vous alors dans un prochain reportage sur Terre-net pour suivre l'évolution des pratiques et avoir son retour d'expériences !

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