Agacés que l’on accuse sans cesse l’agriculture conventionnelle d’être responsable du déclin des abeilles, des professionnels témoignent de leurs pratiques raisonnées et démontrent ainsi qu’il est possible de concilier les deux activités.
L’examen à l’Assemblée Nationale du projet de loi prévoyant d’accorder une dérogation aux néonicotinoïdes sur graines de betteraves a débuté en début de semaine. Et invariablement lorsqu’il est question de phytos, et encore plus de cette famille d’insecticides, le sujet fait débat… y compris au sein de la majorité !
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Pourtant sur le terrain, le son de cloche est bien différent. « Nous n’avons jamais constaté de surmortalité, même à l’époque où j’utilisais ces molécules, souligne Christophe Grison, agriculteur en Seine-et-Marne (et président d’Adivalor et de Valfrance), en partenariat sur son exploitation avec un apiculteur. Preuve s’il en est qu’il est possible de concilier l’apiculture avec une agriculture qui a des pratiques raisonnées ! » Quant aux agriculteurs enquêtés qui possèdent leurs propres ruches, ils estiment qu’il n’y a pas photo entre l’emploi d’un traitement de semences qui ne touche que les ravageurs ciblés et l’alternative actuellement proposée.
Traitement de semences moins risqué
Cette alternative multiplie en effet les passages en végétation au cours de la saison, comme cela a été parfois le cas sur céréales cet automne et sur betteraves au printemps. « On décime toute une faune et on doit à chaque fois repartir à zéro, estime Olivier Garnier, agriculteur en conservation des sols en Seine-et-Marne. Cela crée plein de problèmes annexes, en touchant par exemple d’autres hyménoptères qui nichent dans nos sols, ou les carabes qui sont des prédateurs de limaces. Du coup, je vais peut-être devoir passer des molluscicides ! »
Damien Collard, céréalier et apiculteur professionnel (120 ruches) dans la Marne, complète le constat : « Depuis le retrait de ces traitements de semences, cela nous oblige à réaliser jusqu’à cinq traitements en végétation pour contrer les pucerons. En tant qu’apiculteur, je souhaite qu’on les réautorise. » Damien a déploré des pertes importantes d’abeilles entre fin mai et mi-juin, au moment où les traitements insecticides ont eu lieu sur betteraves. Or, il n’avait jamais eu de tels problèmes ces vingt dernières années avec les néonicotinoïdes.
Même sans fleur sur la culture, il explique cette mortalité inhabituelle par la présence d’abeilles venues boire la rosée sur les feuilles des betteraves qui avaient été traitées, dans un contexte de sécheresse. Tous insistent sur les bonnes pratiques qu’ils mettent en œuvre pour conjuguer leurs deux activités. Et s’il reste encore des « idiots » qui traitent en plein cagnard, c’est selon eux loin d’être la majorité.
Mention abeille
Nicolas Buffo, apiculteur dans le Gers avec toute sa ferme en cultures mellifères, ajoute que ceux-là ne sont pas toujours au courant qu’il est interdit de traiter avec un insecticide en pleine journée, et qu’ils se disent que si un insecticide possède une « mention abeille », il n’est pas nocif. « Il reste malgré tout quelques “fonctionnaires du pulvé” qui traitent aux heures de bureau et qui connaissent parfaitement les risques pour les abeilles, se lamente-t-il. Il y en a peut-être un sur cent, mais si nos ruches sont à proximité, tous nos efforts sont réduits à néant. »
L’une des principales mesures à respecter est bien sûr de traiter en dehors de la présence des abeilles, comme la réglementation actuelle le prévoit pour les insecticides et acaricides (voir encadré), le soir ou le matin. « Notre groupe généralise déjà les règles de l’arrêté “mention abeille” aux autres produits que les insecticides », fait savoir Benoît Lecuyer, co-fondateur de l’association Poll’Aisne attitude, qui réunit une quinzaine d’agriculteurs également apiculteurs amateurs. En effet, même un fongicide non toxique est parfumé. En plus d’être handicapées à cause des adjuvants contenus dans les bouillies, elles pourront être rejetées par leurs consœurs à l’entrée de la ruche à cause de l’odeur. Il faut de plus éviter les mélanges de produits et ne pas traiter juste après une pluie, car l’eau qui reste dans les passages de roue peut servir d’abreuvoir aux insectes.
Et les autres facteurs ?
L’amélioration de la ressource florale est un autre point d’importance. Et les agriculteurs de Poll’Aisne Attitude l’ont bien compris. Ils ont planté des arbustes dans les talus et se sont aussi formés sur l’entretien approprié des bordures de champ. « L’objectif est de les faucher tous les deux ans et de maintenir nos parcelles propres », souligne Benoît Lecuyer. Autre pratique assez inhabituelle mise en place par ce groupe : laisser une hausse de miel plutôt que de donner une solution sucrée. Ainsi, ils n’observent pas de fortes mortalités hivernales (jamais plus de 15 %) et obtiennent des récoltes de miel tout à fait correctes (15-20 kg en moyenne par ruche). Au vu de leurs résultats, ils s’accordent pour dire qu’il faudrait mieux étudier les autres facteurs de dépérissement des colonies, à savoir le varroa, le frelon asiatique et les maladies, qu’on ne sait d’ailleurs pas toujours bien diagnostiquer. Et quid, enfin, de l’impact du nourrissement artificiel ?
« On ne s’improvise pas apiculteur, conclut Benoît Lecuyer. Bon nombre d’apiculteurs ne pratiquent pas une apiculture adaptée. » Or, s’il semble que nombre d’agriculteurs se soient convertis à l’apiculture ces dernières années, étendre cette pratique n’est envisageable qu’en y associant une formation et l’aide d’un apiculteur professionnel, et par conséquent avec davantage d’échanges entre les deux professions. Et Nicolas Buffo d’ajouter : « On peut avoir seulement trois ruches, mais si on n’y connaît rien, c’est une bombe à retardement d’un point de vue sanitaire pour les ruches environnantes. »
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