mercredi 6 janvier 2021

PHYTOS Pas de passage en force du plan pollinisateurs, pour le moment


Phytos - Pas de passage en force du plan pollinisateurs, pour le moment
Selon l’interprofession des huiles et protéines végétales, le projet actuel risquerait de provoquer un recul des surfaces de colza de 120 000 hectares. © Christian Watier LA FRANCE AGRICOLE

Alors que le projet présenté aux professionnels avait tout pour « mettre le feu aux campagnes », le gouvernement a finalement fait marche arrière, laissant le temps de la concertation.

Attendu pour la fin d’année, le plan pollinisateurs voit finalement son calendrier « desserré » pour « prendre le temps de la concertation », a indiqué le ministère de l’Agriculture, à l’issue d’une réunion qui a eu lieu le vendredi 18 décembre 2020.

Cette réunion a permis de présenter la trame du plan au groupe de travail, constitué notamment de professionnels agricoles, des représentants des filières de productions végétales et apicoles, d’ONG et d’instituts techniques et de recherche. « C’est un plan qui se doit d’être complet pour traiter la question de la protection des pollinisateurs sous tous ses aspects », a-t-il précisé.

Les 4 axes du plan

Le plan pollinisateurs sera décliné en quatre axes.

  • Le premier volet concerne l’amélioration des connaissances et le suivi des populations d’abeilles. « Il s’agit de favoriser les conditions pour que les abeilles trouvent toute l’année une ressource alimentaire suffisante, en quantité et en qualité », explique le ministère.
  • Le deuxième volet vise à accompagner le développement de la filière apicole.
  • Le troisième volet porte sur l’aspect sanitaire et a pour but d’aider les api­culteurs à protéger leurs ruches des ravageurs. Enfin, le dernier point concerne la gestion des traitements phyto­sanitaires en floraison.
  • Le quatrième volet a mis le feu aux poudres début décembre. Il était question de s’appuyer sur l’avis de l’Anses (1) de 2019 pour renforcer le cadre réglementaire. L’idée : réviser l’« arrêté Abeille » du 28 novembre 2003. Le projet prévoyait notamment d’étendre l’interdiction de traitements insecticides et acaricides à tous types d’intervention – y compris les fongicides, herbicides ou régulateurs – durant la floraison des plantes. Une dérogation dans les trois heures suivant le coucher du soleil pouvait être envisagée uniquement pour les spécialités avec « Mention abeilles », comme c’est le cas actuellement des insecticides et acaricides. La dérogation pouvait être étendue à cinq heures en cas de surfaces importantes à traiter. Il était possible de démarrer une heure plus tôt dans les situations dangereuses, comme en coteau.

Les syndicats agricoles réagissent

La profession agricole est rapidement montée au créneau. « Le travail de nuit est dangereux et risque d’envenimer les choses avec les riverains. Ce plan va accentuer les distorsions de concurrence avec les voisins européens et méconnaît le fait que, parfois, nous ne disposons que de quelques heures pour intervenir », a jugé la Coordination rurale.

« Nous avions apporté une contribution en donnant aux ministères de l’Agriculture et de l’Environnement notre vision d’un plan pollinisateurs qui ne concerne pas exclusivement les phytos, a expliqué Christian Durlin, de la FNSEA. Mais, en fin de compte, il repose presque exclusivement sur la déclinaison de l’avis de l’Anses. » De plus, selon le syndicat, cela aura des conséquences sur le plan protéines sorti début décembre, car « se retrouvent dans l’œil du cyclone toutes les cultures oléoprotéagineuses ».

Ainsi, selon les calculs de l’interprofession des huiles et protéines végétalesTerres Univia, ce projet provoquerait une réduction des surfaces équivalentes à 120 000 ha pour le seul colza. « Le bol alimentaire disponible pour les abeilles va se réduire, alors que le colza assure une miellée en début de saison et soutient le développement des colonies pour la suite », ajoute l’interprofession.

Un plan attendu pour mars 2021

Cette mesure du « 4ème volet » impacterait surtout les usages mineurs, tels que les productions de semences, de plantes aromatiques ou de fruits et légumes. « Nous sommes favo­rables à la protection des pollinisateurs, notre enga­gement quo­tidien le démontre, mais nous ne pouvons pas accepter que le plan pollinisateurs soit un plan tueur d’arboriculteurs », a rappelé l’Association nationale pommes poire (ANPP).

« Nous continuons de penser qu’il n’y a pas lieu d’avoir un arrêté franco-français un peu à côté du régime européen, qui lui-même va encore évoluer » (lire l’encadré ci-dessous), a estimé l’UIPP (2). En effet, un groupe de travail européen a été créé depuis peu au sein de l’Efsa (3). Et une partie des tests proposés dans le « Guide abeilles » de 2013 de l’Efsa pourrait être enfin appliquée en 2021. Les autres tests seraient validés par la suite.

Si le projet initial a été en partie salué par les apiculteurs, les ONG et la Confédération paysanne, le ministère de l’Agriculture a toutefois indiqué, le 18 décembre 2020, que « les inquiétudes ont été entendues ». Craintes d’un calendrier trop court, d’une marche forcée…

« Ces remarques étaient légitimes, reconnaît-il. Un plan d’une telle envergure nécessite de laisser le temps à la concertation de façon apaisée, pour que chacun puisse faire valoir ses propositions. Les travaux se poursuivront donc jusqu’en mars 2021. »

L’ensemble du plan devrait être en consultation fin janvier-début février. En attendant, espérons que les professionnels auront été entendus et que les ministères auront pris de bonnes résolutions pour 2021.

C. Fricotté et J. Papin

1. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

2. Union des industries de la protection des plantes.

3. Autorité européenne de sécurité des aliments.

Plus d'infos sur le sujet

En France, l’« arrêté Abeille » de 2003 a été introduit dans le but de protéger les pollinisateurs. Il interdit l’emploi d’insecticides et d’acaricides pendant la floraison, sauf dérogations nommées « Mention abeilles ».

L’évaluation européenne 

« Un produit met en moyenne trois ans entre le moment où il arrive à l’Anses et celui où il est homologué. Si on commence à avoir de nouvelles exigences en dehors de l’autorisation normale des produits, c’est juste ingérable !, estime Eugenia Pommaret, de l’UIPP. Depuis 2003, et l’entrée en vigueur en France de l’“arrêté Abeilles”, l’évaluation des produits au niveau européen a beaucoup évolué. Aujourd’hui, même les fongicides et herbicides passent des tests vis-à-vis des pollinisateurs s’ils s’emploient en période de floraison. Sans réponses positives à ces tests, ils ressortent avec une phrase de risque SPe8, qui interdit leur utilisation en floraison. En France, les entreprises vivent donc avec deux systèmes. Nous avons expliqué aux ministères que l’Europe est le bon niveau pour monter en sécurité, comme le président Emmanuel Macron l’a indiqué récemment. Si la France prend une autre voie, on sera encore une fois en distorsion. »

Cristal Union veut implanter 1 600 hectares de cultures mellifères

Dans le cadre du plan de prévention mis en place par la filière, en parallèle de la dérogation d’utilisation de néonicotinoïdes, Cristal Union s’engage pour la protection des pollinisateurs.

Ainsi, le groupe sucrier a annoncé, le 16 décembre, qu’il allait implanter « 1 600 hectares de surfaces mellifères dans les trois prochaines années ». C’est l’objectif du projet « Bee happy », lancé en septembre dernier auprès de ses coopérateurs.

Selon Sylvain Verger, ingénieur agronome et référent technique du projet, ce dernier « rencontre déjà un fort engouement ». Et le groupe se mobilise activement pour susciter l’envie du plus grand nombre de ses coopé­rateurs de rejoindre cette démarche et de s’engager sur les trois années à venir.

Cristal Union accompagne en effet les coopérateurs volon­taires dans cette démarche avec une aide financière qui couvre le coût des semences de ces mélanges fleuris. Des semences qui seront fournies dès le début de l’année 2021. 

Hélène Parisot

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