Vérité sur l’agriculture de conservation des sols (ACS), sur la fiabilité des deux méthodes de test des « pisseurs volontaires » ou encore sur l’origine des produits contenant le plus de pesticides, la chaîne Public Sénat s’est aventurée hors du prêt-à-penser écologique. Elle a choisi d’ouvrir les portes de la complexité et de la subtilité, notions indispensables pour comprendre la problématique du glyphosate.

Premier exemple : la part accordée à l’agriculture de conservation en tant que système vertueux. Bertrand Courtois, un agriculteur qui pratique le semis direct, affirme, preuve à l’appui dans son champ, que « malgré les produits phyto que l’on met, il y a toujours de la vie microbienne ». Le lien entre les pesticides et la dégradation de la biodiversité est remis en cause.

À l’issue de l’émission, Jérôme Chapuis animera un débat de 30 minutes qui suit la diffusion du documentaire « La Beauce, le glyphosate et moi » dans le cadre de l’émission « Un Monde en Docs ». © Caméra One Télévision

Honnêteté scientifique

La chaîne s’intéresse aussi au glyphotest, les tests de laboratoire qui mesurent la concentration de glyphosate dans les urines. Mis en avant par l’émission de France 2 Envoyé Spécial, voici quelques années, la fiabilité de ces tests avait fait polémique. Contrairement à Élise Lucet, Public Sénat présente les deux types de tests existants et explique que les résultats dépendent du type de test réalisé.

Les agriculteurs filmés par Public Sénat réalisent les deux tests pour les comparer. Autre preuve d’honnêteté scientifique de l’émission, un agriculteur interrogé a même la possibilité d’expliquer que la dangerosité de l’herbicide ne vient pas d’abord de sa matière active, mais de son adjuvant.

La journaliste reconnaît aussi les avantages et les contraintes de l’agriculture de conservation des sols sans les évacuer : « Pour préserver la vie (du sol), il (l’agriculteur) a besoin du glyphosate ». Ou encore : « La technique de l’agriculture de conservation nécessite moins d’intrants chimiques, mais paradoxalement, c’est celle qui dépend le plus du glyphosate. »

Prise en compte des effets du commerce international

Aurélie Alain, une agricultrice, met en lumière le problème des distorsions de concurrence, et notamment celle qui pourrait s’établir en cas d’arrêt du glyphosate. Pour elle, le glyphosate provient surtout des produits importés. Même la journaliste semble adhérer au propos.

Pour Fabrice Chaboche, un autre agriculteur, l’utilisation de glyphosate en France, « c’est l’arbre qui cache la forêt par rapport à l’importation massive de glyphosate dans nos assiettes ».

Aurélie Alain aborde aussi le problème du raccourcissement des rotations, facteur d’augmentation de la consommation d’herbicides, et le met en lien avec cette même concurrence internationale.

Bertand Petit, un agriculteur président de la FDSEA de l’Eure-et-Loir. Pulvérisation de glyphosate. © Caméra One Télévision

Des raccourcis et des imprécisions toujours très présents

Malgré ces efforts d’objectivité, il reste du chemin à parcourir. Plusieurs raccourcis parsèment encore le documentaire. Comme la phrase qui introduit le reportage : « Le glyphosate, je n’en veux pas dans l’assiette de mes enfants, comme l’écrasante majorité des Français. Pour moi, on devrait l’arrêter tout de suite. »

Le reportage ne pose pas vraiment la question de la focalisation de l’opinion publique sur le glyphosate alors qu’elle laisse dire à un agriculteur : « Je pense que le glyphosate n’est pas le pire des produits chimiques que l’on utilise. » Propos partagé par Emmanuel Macron lors d’une interview au média en ligne Brut.

Autre déception, des paroles très perspicaces d’agriculteurs ne sont pas toujours très audibles, traitées sur le mode du bruit de fond. Bref, le téléspectateur peut ne pas comprendre le véritable sens de ces interventions.

Encore quelques erreurs de raisonnement

Autre confusion qui reste tenace, celle de l’herbicide sélectif appliqué en végétation sur une culture et de l’herbicide non sélectif appliqué en interculture. Pour illustrer l’utilité du glyphosate, la caméra montre des mauvaises herbes dans des cultures, alors qu’il faudrait plutôt filmer l’interculture. Même raisonnement avec la bineuse et la charrue. L’arrêt de glyphosate ne concerne pas prioritairement le désherbage mécanique en culture mais le labour avant le semis.

Dernier raccourci, celui d’une petite phrase placée entre deux volets du reportage. « Pulvériser du glyphosate avant de semer, ça sera toujours plus simple que de se plonger dans des manuels d’agronomie pour repenser sa façon de travailler. » Si une solution simple existait pour remplacer le glyphosate dans les manuels, tout le monde l’aurait adoptée.

Renaud d’Hardivilliers