Devant le risque d’éclatement de la Pac en 27 politiques agricoles nationales, les eurodéputés ont tenté de renforcer le socle commun de la future Pac, tout en y remettant une petite couche de vert et en resserrant les aides autour du « modèle familial ».

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Un minimum de dépenses pour l’environnement

Sur le papier, le Parlement européen se montre plus ambitieux que la Commission européenne, et a fortiori que le Conseil, pour l’Environnement. Les écorégimes (ecoschemes) sont rendus obligatoires pour les États membres, même si les agriculteurs restent libres d’en souscrire ou non. Ils représenteront au moins 30 % du budget du premier pilier, contre 20 % proposé par le Conseil.

Une flexibilité est cependant offerte, mais plus limitée qu’au Conseil, pour les États membres agissant fortement pour l’environnement via le second pilier. Le Parlement souhaite que chaque État élabore une liste nationale de mesures éligibles aux écorégimes, approuvée par la Commission. Outre des pratiques environnementales, cette liste pourrait inclure des mesures liées au bien-être animal, ou à l’agriculture de précision.

Là où les ONG grincent des dents, c’est que les paiements liés à l’agriculture de précision dans ces écorégimes n’indiquent pas d’objectif chiffré de réduction d’intrants. D’autre part, les eurodéputés ont supprimé l’obligation d’aller au-delà de la réglementation nationale pour être rémunéré au titre des écorégimes. Dans le cas d’une réglementation nationale plus exigeante que le socle européen, les ONG craignent que des agriculteurs soient payés simplement pour respecter la loi…

Les eurodéputés ont, en revanche, adopté des amendements durcissant les sanctions (de 5 à 10) en cas de récidives sur des infractions liées à l’environnement ou au bien-être animal.

Développer la bio

Le Parlement a aussi souhaité que 35 (au lieu de 30) des crédits du second pilier soient dépensés pour des objectifs environnementaux et climatiques. Les députés souhaitent que les transferts entre le premier et le deuxième piliers ne puissent se faire que pour alimenter les mesures environnementales (deuxième pilier) ou les écorégimes (premier pilier).

Les États membres devraient aussi introduire dans leur plan stratégique national (PSN) des objectifs de développement de l’agriculture biologique. Ils doivent globalement veiller à ce que leurs PSN soient compatibles avec la stratégie « de la ferme à la table » et la stratégie « biodiversité », mais aussi avec les engagements climatiques de l’Union européenne, et devront rendre des comptes en ce sens à la Commission.

Aucune sanction financière n’est cependant prévue dans le cas contraire, le Parlement ayant, comme le Conseil, supprimé le « bonus de performance » devant être réservé aux États remplissant leurs objectifs.

Cibler les agriculteurs actifs

Sur la répartition des aides, le Parlement ne lâche rien. La Commission avait timidement tenté d’introduire un ciblage sur les agriculteurs « véritables » et un mécanisme de redistribution vers les petites et moyennes exploitations. Le Conseil a tout balayé. Les eurodéputés, quant à eux, demandent que les aides Pac soient exclusivement réservées aux « agriculteurs actifs », dont les États membres devront donner une définition, et que la Pac soutienne le « modèle familial ».

Pour ce faire, ils ont voté pour un plafonnement des aides obligatoire à 100 000 € par exploitation, avec une dégressivité à partir de 60 000 €, tout en permettant de soustraire du calcul la moitié des salaires versés, si l’exploitation emploie de la main-d’œuvre. De plus, la totalité des aides versées à une même personne physique (à la tête de plusieurs structures agricoles) ne pourra pas dépasser 500 000 € sur le premier pilier, ni un million d’euros sur le second.

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Le Parlement impose aussi un paiement redistributif vers les petites et moyennes fermes, pour au moins 6 % de l’enveloppe du premier pilier. Les États redistribuant 12 % de leur enveloppe seraient dispensés de plafonnement. Une aide forfaitaire de 1 250 € au maximum pourrait être versée aux petites exploitations, dans le cadre d’un régime simplifié.

Soutenir l’installation

Le Parlement a aussi doublé l’enveloppe réservée à l’installation, qui passerait de 2 à 4 %. Il a ouvert la possibilité de verser cette aide aux jeunes agriculteurs sous la forme d’un paiement à l’actif au lieu d’un paiement à l’hectare. Au-delà de la notion de « jeune agriculteur », les eurodéputés ont inscrit la notion de « nouvel agriculteur » afin de pouvoir aider l’installation d’agriculteurs de plus de 40 ans.

Garder une ambition commune

Les eurodéputés insistent à de nombreuses reprises, dans les textes, sur les objectifs « communs ». Ils réclament également une grande transparence dans les processus d’élaboration, d’approbation et de révision des PSN. Une fois adoptés, ceux-ci devront être traduits en anglais et publiés en ligne. Le Parlement et le Conseil devront être informés de toute modification approuvée par la Commission européenne.

Mieux organiser les marchés

Le Parlement a enfin largement amendé le règlement relatif à l’organisation des marchés, dans l’objectif de mieux anticiper et gérer les crises. « Les marchés ne peuvent pas s’autoréguler », avait insisté Éric Andrieu, rapporteur sur ce règlement, dans l’Hémicycle.

Le règlement amendé par les députés crée un observatoire unique des marchés, qui doit aider la Commission européenne à jouer un rôle de régulateur en prenant les mesures qui s’imposent, y compris les retraits de production lorsque le marché est excédentaire.

Le Parlement a étendu les possibilités de recourir à l’intervention publique à plusieurs secteurs non couverts jusque-là : les viandes ovine, porcine, de volaille, le sucre de betterave…

Il a aussi étendu à tous les produits sous appellation la possibilité d’organiser collectivement la production pour stabiliser les marchés, une possibilité jusque-là réservée aux vins et fromages sous appellation.

Le Parlement et le Conseil ayant chacun retravaillé à sa manière la proposition de la Commission de juin 2018, trois textes (1) sont désormais sur la table. Les trilogues peuvent désormais commencer, afin d’aboutir à une version unique de la future Pac.

Bérengère Lafeuille