Quelle feuille de route vous a donné Julien Denormandie ?

Ma mission est d’accompagner le ministre en étant médiateur, conciliateur, facilitateur.

Il a pris à son compte les conclusions des États-généraux de l’alimentation (EGA). Compte tenu de mon implication de coprésident de l’atelier 5, il m’a demandé d’essayer de renouer avec l’esprit et les conclusions des EGA. La posture, c’est d’inciter les acteurs, de les convaincre puisqu’on ne peut pas les contraindre, de créer des liens dans un esprit que je qualifierai de contractualisme. Ce n’est pas qu’un papier, c’est un état d’esprit.

« Il faut convaincre les acteurs de créer des liens dans un esprit de contractualisme. Le contrat n’est pas qu’un papier, c’est un état d’esprit ».Serge Papin

Vous dites qu’on ne peut pas contraindre les acteurs, c’est-à-dire que vous ne plaidez pas pour un renforcement de la loi issue des EGA ?

On ne peut pas aller plus loin sur la loi, le calendrier parlementaire est trop serré. Il ne faut compter que sur le sens des responsabilités et l’appel à la solidarité de l’ensemble des filières. Sinon l’appareil agricole français risque de ne plus être en capacité de fournir le pays. Ce serait quand même un paradoxe, au moment où on appelle à la relocalisation sur le plan de l’industrie et des médicaments, que par faute de revenu des agriculteurs, notre agriculture, elle, se délocalise.

Comment voyez-vous ce rôle de médiateur ? Quelles sont vos priorités ?

Dans un premier temps je vais m’attacher à ce que les négociations commercialesn’accouchent pas encore d’une baisse des prix pour les agriculteurs. L’urgence elle est là. Je suis vraiment focalisé sur le revenu des agriculteurs. La tâche est immense. Il faut qu’on prenne les choses par étape.

Je veux faire en sorte que les indicateurs de coût de production issus des interprofessions soient la référence dans le cadre des contrats pour qu’on quitte la notion de prix abusivement bas. La loi donne des lignes directrices par rapport à ces indicateurs, il faut qu’elles s’incarnent dans un comportement responsable.

Je pense m’appuyer sur le bon exemple du lait. On peut se réjouir que, post EGA, le secteur laitier ait vu le prix du lait passer de 28 centimes à 37 centimes. C’est parce que l’interprofession à fait un très beau boulot. Je vais aussi m’inspirer des bonnes pratiques, par exemple des contrats de filières sur la viande qui sont signés par certains distributeurs et qui accordent une juste rémunération de la viande en carcasse. On sait que la filière bovine est un peu sinistrée pour des tas de raisons, et donc il faut prioritairement penser à cette filière.

« L’urgence est que les négociations n’accouchent pas encore d’une baisse des prix pour les agriculteurs. »

Jusqu’à quand va votre feuille de route ?

Elle va jusqu’à fin février, jusqu’à la fin des négociations. Après on verra.

L’effet des mesures prises dans le cadre des EGA sur le revenu des agriculteurs semble difficile à évaluer. Un rapport de la DGCCRF (1) met en avant une augmentation significative des ventes de produits de marques de distributeurs (MDD) et de PME en 2019. Qu’en pensez-vous ?

Les marques de distributeur (MDD), ce n’était pas l’objectif. L’objectif signé des mesures d’encadrement des promotions et du relèvement du seuil de revente à perte était que cela serve à la rémunération des agriculteurs. Je cherche des solutions, et dans les solutions il y a la contractualisation. Ce sujet n’a pas été mis sous les feux de la rampe depuis les EGA. Le gouvernement avant Julien Denormandie [NDLR : l’actuel ministre de l’Agriculture], a laissé les choses en jachère. Bercy [NDLR : le ministère de l’Économie] avait peur de l’inflation.

Suite au dernier comité de suivi des négociations commerciales, le ministère de l’Agriculture indique que la Commission d’examen des pratiques commerciales travaille sur des recommandations pour les contrats sur les MDD, pourquoi ?

Il y a aujourd’hui 10-15 % des MDD qui sont contractualisées. De nombreux produits sont toujours sous le régime des appels d’offres. Cela veut dire que les relations commerciales peuvent être remises en cause à tout moment. Il faudrait faire évoluer cela et arriver à des contrats tripartites.

Il faudra également qu’un jour conformément à ce qu’à dit le président de la République dans son discours du 17 octobre à Rungis, on fasse sauter les négociations annuelles. C’est le terrain de jeu des grands groupes. Cela repousse les intérêts des PME et des agriculteurs. Si on était en pluriannuel on aurait un lien qui serait beaucoup plus constructif. Il faudra aller vers cette maturité.

« Il faudra, qu’un jour, on fasse sauter les négociations annuelles pour aller vers du pluriannuel. »

Avec la crise du Covid-19, on entend beaucoup dire que la guerre des prix reprend entre les distributeurs. Comment éviter que les agriculteurs en fassent encore une fois les frais ?

La guerre des prix, on ne parle que de cela depuis que je suis dans ce métier. Je crois que le Covid-19 est un argument en plus pour justifier une posture. On a vu que l’augmentation du seuil de revente à perte (SRP) n’a pas généré d’inflation. Je ne crois pas que les produits agricoles, non transformés, soient chers. Je dis cela avec beaucoup de précautions.

C’est sûr qu’il y a des produits transformés qui coûtent un certain prix. Il faudra sans doute inviter nos concitoyens à consommer différemment. Si on prend le temps d’acheter des produits de saison et de faire un peu de cuisine, d’acheter des produits locaux non transformés, je ne suis pas sûr que se nourrir avec une bonne qualité coûte cher. Il faut relativiser. Il y a la demande du prix mais aussi la demande de la qualité.

Propos recueillis par Marie Salset