Lauréat du prix Femina 2020 pour son roman Nature Humaine, l’écrivain Serge Joncour revient sur ses origines agricoles et sa vie de fermes en villes. Depuis le début de l’année, il observe un retour en grâce des agriculteurs aux yeux de la société.
Il est inattendu qu’un prix littéraire récompense un roman qui se passe principalement dans une ferme. Vous vous attendiez à convaincre aussi largement ?
Le regard de la société sur la nature, les agriculteurs et leurs produits a changé. Il n’existe pas un citadin qui ne rêve pas, en ce moment, d’être un éleveur ou un céréalier. Sur Twitter, je suis plusieurs agriculteurs qui transmettent des images de plein air, de nature, d’animaux et de couchers de soleil sur les champs. Ils ont raison. Depuis le premier confinement, le regard de la société, à leur égard, a changé de façon fulgurante. Il y a un an et demi, sur Instagram, la photo d’un voyageur en partance pour la République dominicaine rencontrait beaucoup plus de succès qu’un cueilleur de champignons dans la forêt de Senonges (dans les Vosges). Puis cela s’est inversé. En particulier quand de nombreux Parisiens sont partis se confiner dans leur résidence secondaire ou au sein de leur famille.
Quel est votre lien au monde agricole ?
C’est un environnement que je connais bien sous plusieurs aspects. Mes parents ont été salariés agricoles, avant de partir travailler dans la restauration à Paris. Puis ils sont allés vivre dans la Nièvre, où ils habitent aujourd’hui. J’ai toujours vécu entre la ville et les fermes de ma famille qui compte des exploitants et des salariés agricoles. Certains habitent dans le Lot dont je me suis inspiré pour mon roman « Nature humaine » : l’exploitation des Bertranges où vit la famille Fabrier, les personnages principaux, est une recomposition de ces lieux qui me sont familiers et chers.
Pourquoi commencez-vous l’histoire de votre roman par la sécheresse de 1976 ?
C’est un événement qui m’a beaucoup marqué. Ce fut terrible, physiquement et émotionnellement. Et dans le même temps, tout le monde s’accordait à dire à l’époque que l’événement était exceptionnel, qu’un tel épisode ne surviendrait pas avant cent ans désormais… Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir s’il y aura une sécheresse, mais quand elle aura lieu dans l’année. C’est en août 1976 aussi que le gouvernement a voté un surplus d’impôt, baptisé de façon maladroite par le ministre du Budget de l’époque, d’« impôt sécheresse ». 2,2 milliards de francs qu’on retirait à la collectivité pour le donner aux seuls agriculteurs ! Alors qu’ils profitaient enfin de leurs vacances, ouvriers et cadres se mirent de manière unanime très en colère… Tout comme les agriculteurs qui estimaient la somme dérisoire. À cause de cela, le Premier ministre, Jacques Chirac, a présenté sa démission. La sécheresse a tout chamboulé cet été-là. Les agriculteurs sont passés pour des privilégiés ! C’est à partir de ces années 1970 qu’on a aussi oublié que pour faire des pâtes, il fallait du blé. Les consommateurs se sont détachés du produit, ils se fichaient de savoir si le jambon sous plastique provenait du porc. Seule la date de péremption, portée subitement à plusieurs mois, avait de l’intérêt.
… Jusqu’à en oublier que l’agriculteur se trouve au départ de cette chaîne alimentaire. Pensez-vous ainsi que nous assistons à la fin du désamour entre les agriculteurs et la société ?
Depuis les années 2000, on revient du côté de ce qu’on a perdu, de l’origine, on s’intéresse à la traçabilité. Et le confinement a accéléré cette tendance. À la campagne, on n’a par exemple jamais vu autant de poules dans les pavillons résidentiels. C’est un peu excessif, parce que les poules peuvent s’acheter suivant la couleur des œufs aujourd’hui… Mais au moins, les consommateurs réassimilent le fait que pour manger une omelette, il faut des œufs. Et que pour se nourrir il faut des agriculteurs ! Il existera toujours des militants moralisateurs dont la lutte tient d’abord du conflit personnel, pour tenter de casser cela. Mais ce que j’observe avant tout est que le contact, entre les agriculteurs et la société, est bel et bien renoué.
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