vendredi 27 novembre 2020

ARTIFICIALISATION DES SOLS Arrêter l’hémorragie de terres agricoles


Artificialisation des SOLS - Arrêter l’hémorragie de terres agricoles
© Thierry Pasquet - LA FRANCE AGRICOLE

Alors que l’Elysée a fait de la souveraineté alimentaire une de ses priorités depuis le premier confinement, la France continue de déployer tractopelles et grues sur ses espaces naturels, agricoles et forestiers. Le gouvernement est censé mettre sur la table plusieurs mesures d’ici la fin de l’année pour limiter le phénomène.

Imaginez un département comme l’Aube, la Charente, la Corrèze ou l’Eure-et-Loir entièrement recouvert de béton, de bitume et de pelouses. C’est ce qui s’est passé sur le territoire français en dix ans, selon un référé de la Cour des comptes, publié le 12 novembre 2020. L’équivalent de 596 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers artificialisés, dont « 70 % de terres agricoles riches » dans des zones essentiellement périurbaines ou littorales. Cette dynamique s’explique en partie par un prix du foncier agricole faible, qui ouvre la voie à des plus-values financières importantes lorsque celui-ci devient un terrain à bâtir. Une véritable hémorragie qui fera tache si rien n’est mis en œuvre pour l’arrêter dans une France qu’Emmanuel Macron envisage souveraine sur le plan alimentaire.

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Densifier l’espace urbain

Les magistrats de la Cour ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme. L’observatoire de l’artificialisation des sols, créé en juillet 2019, recommande, comme de nombreux observateurs, une reconstruction de la ville sur la ville et une densification de l’espace urbain. Fin février, les syndicats agricoles, la Safer, les chambres d’agriculture, des organisations non gouvernementales (ONG), des associations et des députés plaidaient pour une loi foncière, qui n’est pour l’instant pas au programme de l’exécutif, permettant de lutter plus efficacement contre l’artificialisation. Le gouvernement est pourtant conscient du sujet. Dans son Plan biodiversité de juillet 2018, il s’est fixé comme objectif « zéro artificialisation nette ». Englué dans l’asphalte, il est encore loin de l’atteindre.

Un projet de loi en décembre­

Mais de nouvelles mesures devraient être mises rapidement sur la table. Dans sa réponse du 2 novembre à la Cour des comptes, Jean Castex a annoncé que des dispositions seront comprises dans un projet de loi attendu pour décembre, prolongeant les travaux de la convention citoyenne pour le climat.

Sans avoir franchi le premier, le gouvernement souhaite se fixer un nouvel objectif dans ce texte : diviser par deux le rythme de l’artificialisation dans les dix prochaines années. Parmi les mesures urgentes, le Premier ministre a indiqué vouloir mettre­ en place un moratoire sur les nouvelles zones commerciales. 

En attendant cette traduction législative, Jean Castex avait tiré les oreilles des préfets, cet été dans une circulaire du 24 août, accusés de ne pas garder l’œil suffisamment ouvert sur les procédures autorisant l’installation d’équipements commerciaux de plus de 1 000 m². L’enjeu est d’autant plus important que ce secteur chancelle fortement. 

Le gâchis des zones commerciales­

« On s’oriente vers un crack lié à un excès de mètres carrés de commerces, a estimé Franck Gintrand, consultant en stratégie et délégué de l’Institut des territoires, lors d’un webinaire organisé par le département de Loire-Atlantique le 9 novembre. Depuis la crise du Covid, 2 millions de m² de commerces supplémentaires ont été créés. On s’interroge sur combien ont trouvé preneur.

Tout le monde est parti sur une trajectoire extrêmement optimiste sans imaginer que le Covid allait nous tomber dessus.  » Un véritable gâchis de foncier qui l’est d’autant plus que les zones commerciales sont plus difficiles à reconvertir qu’une zone industrielle en raison « du nombre important de propriétaires avec lequel il faut négocier  », ajoute Franck Gintrand.

Réhabiliter les friches

L’autre mesure brandie par Jean Castex concerne la création d’un fonds de 300 millions d’euros, intégré dans le cadre du plan de relance, pour réhabiliter les friches polluées ou rénover des zones urbaines afin d’y accueillir habitants et entreprises. Pour promouvoir la réutilisation de ces terrains, le gouvernement a lancé CartoFrichesune « plateforme d’aide à la réalisation d’inventaire des friches »consultable en ligne.

Il a également intégré dans le projet de loi de finances pour 2021 une réforme de la taxe d’aménagement afin d’inciter à la densification des constructions et à la « renaturation » de zones urbaines abandonnées. Une mesure qui devra démontrer son efficacité tant la « renaturation » d’un site artificialisé est longue et coûteuse. En juillet 2019, France Stratégie évaluait le coût de dépollution, désimperméabilisation et construction d’un technosol « de 95 à 390 euros le m², sans compter le coût de déconstruction ». 

Alexis Marcotte

Pas touche à mon habitat

Si 80 % des Français s’accordent à dire que la lutte contre l’artificialisation des sols est un « enjeu majeur », peu sont prêts à sacrifier des mètres carrés de leur habitat. C’est ce que révèle une enquête d’Infopro Digital Études, présentée lors d’un webinaire organisé par le département de Loire-Atlantique le 9 novembre, sur l’objectif de « zéro artificialisation nette » et réalisé auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatives de la société française. Interrogée sur les solutions les plus utiles pour atteindre cet objectif, la majorité des sondés (55 %) n’est pas prête à faire le choix de vivre en appartement plutôt qu’en maison. 62 % s’opposent également à la prise de mesures visant à limiter ou à réduire la taille des jardins privatifs.

Les Français préfèrent trouver la solution de l’autre côté de leur jardin ou de leur balcon : 84 % privilégient la réhabilitation ou l’occupation des logements, zones commerciales et bureaux vacants.

Dans les faits, la surface des terrains constructibles acquis par des particuliers s’est déjà réduite durant ces vingt dernières années. Selon le dernier observatoire des marchés fonciers tenu par la Safer, la surface des lots de moins de 1 ha est passée de 3 200 m² à une surface plancher de 1 900 m² depuis 2014. La Safer l’explique par une volonté des communes de diminuer la consommation d’espace et par le budget des particuliers qui leur impose de construire sur des lots plus petits.

62 % des Français s’opposent à la limitation et à la réduction des jardins privatifs. © Cédric Faimali/GFA

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