Les producteurs, toutes filières confondues, veulent légitimement pouvoir disposer des mêmes outils de protection que leurs voisins européens. Or, c’est encore loin d’être le cas ! En voici quelques illustrations…
C’est un constat fait par une grande partie de la profession agricole : les retraits de phytos et les réglementations spécifiques à notre pays sont monnaie courante. « On l’a vu avec le glyphosate et les néonicotinoïdes, l’État français a toujours tendance à vouloir avoir sa propre stratégie sur la protection des cultures », estime Christian Durlin, vice-président de la Commission environnement de la FNSEA. Et Benoît Piètrement, vice-président de l’AGPB (Association nationale des producteurs de blé et autres céréales), d’ajouter : « Je ne dis pas que c’est bien ou que ce n’est pas bien, mais ce qui nous gêne, c’est cette distorsion qui existe vis-à-vis de nos voisins. »
Des contraintes propres à la France
Les exemples ne manquent pas, d’autant que certaines décisions touchent toutes les cultures. Vient ainsi à l’esprit la mise en place des ZNT riverains en 2020. La France impose, en effet, des contraintes qui n’existent que chez nous. Ce pourrait être aussi le cas du futur plan pollinisateurs. Pourtant, les nouvelles homologations commencent déjà à prendre petit à petit en compte tous ces éléments.
Le retrait de tous les néonicotinoïdes en 2018 a aussi touché de nombreux usages. Même des insecticides apparentés à cette famille, comme peuvent l’être le sulfoxaflor et le flupyradifurone, ont été concernés par cette interdiction par la suite.
Pourtant, ces deux molécules ainsi que l’acétamipride, un néonicotinoïde, sont interdits uniquement en France. « Pour information, le sulfoxaflor avait été identifié comme une alternative en fruits à noyaux et à pépins. Pourtant, il n’est pas possible de l’utiliser alors même qu’il est autorisé dans dix-huit États membres de l’Union européenne », se désole Stéphanie Prat, directrice de la FNPF (Fédération nationale des producteurs de fruits).
Blocage sur les dérogations 120 jours
On peut malgré tout se réjouir que le gouvernement ait finalement fait volte-face sur betteraves, au vu des problèmes de jaunisse apparus en 2020, avec une dérogation à venir. Les professionnels notent toutefois qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir ces « dérogations 120 jours » en France. « Quand elles sont accordées, c’est toujours à la dernière minute, ce qui rend difficile la distribution des produits. De plus, elles sont désormais attaquées par les ONG. Or, cela pose de réels problèmes, notamment pour beaucoup de toutes petites filières, pour qui c’est souvent la seule façon de fonctionner », ajoute Christian Durlin.
Usages orphelins en fruits et légumes
Ainsi, aujourd’hui, le nématicide 1,3 dichloropropène n’est plus autorisé sous forme dérogatoire comme c’était le cas depuis plusieurs années. Il laisse les producteurs de carottes de Créances ou de pommes de terre de Noirmoutier désemparés.
« Concernant la cerise, on se sent vraiment acculés, avec l’impression de vivre une succession de suppressions pour des raisons qui ne nous semblent pas toujours basées sur des éléments scientifiques solides, et sans aucune alternative, ajoute Stéphanie Prat. Sur Drosophila suzukii, on nous renvoie vers la technique de lâchers de mâles stériles. Mais ce n’est pas pour demain, compte tenu des différentes contraintes pour la reconnaissance du dossier au niveau administratif. »
La pression sociétale fait prendre des décisions politiques décalées par rapport à la recherche scientifiqueCyril Pogu, Légumes de France
Même si les grandes cultures sont ponctuellement touchées par des retraits de spécialités, les fruits et légumes restent les plus touchés. « Alors qu’il existe plus de quarante espèces de légumes, qui représentent moins de 1 % de la SAU agricole, on parle de plus de 650 usages, dont 39 % sont non pourvus », souligne Cyril Pogu, chez Légumes de France. Même constat en fruits, où 30 % des usages sont orphelins. L’Administration estime qu’un usage est pourvu à partir du moment où au moins une molécule est homologuée. Ce qui est souvent loin d’être suffisant.
Ces petites filières représentent de fait peu d’intérêt pour les firmes, parfois découragées par des dossiers d’inscription complexes et onéreux. Et l’Anses est reconnue comme étant une agence extrêmement exigeante en termes d’évaluation des risques. S’il existe depuis quelques années un comité des usages orphelins qui a pour but d’identifier les problématiques actuelles et à venir, la profession estime que derrière « il ne se passe pas grand-chose ».
Aider la recherches des alternatives
Pourtant, à la suite de cet état des lieux, des programmes de recherche structurés pourraient être mis en œuvre au sujet de la lutte mécanique, variétale, du biocontrôle… « Aujourd’hui, la pression sociétale fait prendre des décisions politiques décalées par rapport à la recherche scientifique, qui elle seule permet d’avoir des solutions. Quant aux retraits, ils ne sont pas accompagnés de recherche, estime Cyril Pogu. On aimerait avoir un retour complet de la redevance pour pollution diffuse (environ 150 M€/an), afin d’aider à la recherche d’alternatives. »
À l’heure où le président Macron renvoie le sort du glyphosate au niveau européen et où le ministre de l’Agriculture parle de souveraineté alimentaire à tout-va, les producteurs tout comme l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes) demandent une harmonisation des procédures. « C’est une erreur de croire que la France va entraîner les autres États membres dans son sillage. Qu’elle défende une position à l’intérieur de l’Union européenne, soit, mais qu’elle passe son temps à faire des cas d’école dans son pays, c’est se tirer une balle dans le pied », conclut Christian Durlin.
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