L’année 2020 a apporté son lot de déconvenues, mais la filière laitière a résisté. Les marchés des produits laitiers se redressent légèrement pour le lait conventionnel, mais la juste application de la loi EGAlim se fait attendre.
L’année 2021, synonyme de tous les espoirs pour les producteurs de lait ? « La situation est plutôt saine, mais peu stimulante », résume Gérard You, économiste à l’Institut de l’élevage (Idele). Si la conjoncture laitière se redresse, l’évolution défavorable du prix du lait payé aux éleveurs déçoit.
> À lire aussi : Coup de rabot sur le prix du lait en 2020 chez Lactalis, Sodiaal, et Savencia (08/02/2021)
La collecte laitière se tasse
D’après FranceAgriMer, en avril 2020, le prix réel du lait conventionnel est passé sous son niveau de 2019. Depuis, cette tendance persiste. En novembre dernier l’écart restait marqué (- 2,6 % par rapport à 2019). Pourtant, la collecte se tasse et « le solde des échanges français de produits laitiers en valeur a de nouveau progressé » en 2020, indique FranceAgriMer.
Néanmoins, le redressement de la valorisation beurre poudre est insuffisant. « On observe encore un retard de l’ordre de 40 €/1 000 litres sur un an fin 2020 », note Gérard You.
Quand bien même cet écart viendrait à se résorber dans les mois à venir, cela suffirait-il pour renflouer la trésorerie des producteurs ?
L’interprofession laitière (Cniel) estime le prix de revient du lait conventionnel à 403 €/1 000 litres, en plaine. Et nous en sommes encore loin. Comme le révèle l’observatoire de L’éleveur laitier, « les quatre leaders de notre industrie que sont Lactalis, Sodiaal, Savencia et Agrial Eurial plafonnent dans l’Ouest à 350 €/1 000 litres, 360 €/1 000 litres pour l’OP Savencia France Milk Board (FMB) » en 2020.
Signer les contrats
Avec l’entrée en vigueur de la loi EGAlim, les contrats laitiers devaient initialement être réactualisés en avril 2019. Cette mise à jour concernait notamment la prise en compte des coûts de production dans la formule de prix du lait. Près de deux ans plus tard, les négociations s’éternisent.
Face à ce constat, France OP Lait (FOPL), le syndicat national des organisations de producteurs de lait, a saisi le médiateur des relations commerciales agricoles en avril 2020. « Aucune des saisines individuelles qui en ont découlé n’a abouti à la signature d’un accord-cadre », déplore Denis Berranger, président de France OP Lait, conscient de l’enjeu qui se cache derrière la signature de ces accords.
« Il ne s’agit pas de compenser la volatilité des marchés internationaux, mais d’empêcher qu’elle ne se répercute sur le marché intérieur », souligne Daniel Perrin, le secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL).
Et pour Sophie Lenaerts, responsable de la section lait (OPL) à la Coordination rurale (CR), « les erreurs d’un acheteur au niveau de ses débouchés ne regardent que lui. Chacun sa part de risque. »
Chez Danone, la prise en compte des coûts de production, adossée à une baisse des volumes livrés, est effective depuis 2015. « Le prix du lait payé à nos producteurs a progressé de 1 % en 2020, indique Laurent Schatz, directeur lait France chez Danone. En temps de crise, les accords pluriannuels basés sur le prix de revient des éleveurs sont essentiels. Tous les éleveurs en ont signé un avec nous. »
D’après l’observatoire de L’éleveur laitier, certaines organisations de producteurs de Danone ont néanmoins enregistré une baisse du prix perçu (en 42/33). C’est notamment le cas de l’OP Jura-Bresse. Le renouvellement des contrats liant Danone et ses éleveurs se concentre désormais sur d’autres aspects, comme l’affichage du prix compte tenu des débouchés sur la fiche de paie.
Rééquilibrer le rapport de force
Le chantier avance également chez Lactalis, avec 9 500 des 14 000 éleveurs collectés couverts par un contrat conforme aux exigences de la loi EGAlim. « Dans le cas de l’Unell (1), sans cet accord signé en novembre 2019, on aurait probablement eu une décote plus importante sur le prix du lait 2020 », relève Claude Bonnet, président de l’association d’organisations de producteurs (AOP).
« La formule et le choix des indicateurs de marché sont perfectibles [voir encadré], poursuit Claude Bonnet. Mais si les autres transformateurs, y compris les coopératives, n’avancent pas sur la prise en compte de nos charges, il sera difficile d’aller plus loin avec Lactalis. »
La signature d’un contrat n’est pas toujours gage de satisfaction. L’accord entre l’AOP FMB Grand Ouest et Normandie et Savencia en témoigne. « Nous avions convenu d’une formule début 2019, mais le prix a fini par se décaler du marché, rendant caduque cette avancée », explique Denis Jehannin, coprésident de l’AOP.
Les producteurs adhérents ont tout de même récupéré 12 des 18 €/1 000 litres « perdus » à la suite d’une renégociation en 2020, par le biais d’une médiation. Pour l’OP FMB Sud-Ouest, l’affaire se réglera au tribunal.
Pour éviter qu’un tel scénario se produise, l’amont souhaite avant tout rééquilibrer le rapport de force entre les OP et les transformateurs. « Il faudrait aussi que les éleveurs reprennent en main la facturation du lait, comme le permet la loi EGAlim, mais ça coince encore », ajoute Denis Jehannin.
Du côté de la Coordination rurale et de l’EMB (European Milk Board), l’une des solutions consisterait à réguler et négocier les volumes à l’échelle européenne. « Il faut sortir des problématiques franco-françaises pour avancer », lance Sophie Lenaerts. En parallèle, les négociations commerciales entre transformateurs et distributeurs avancent. « Il faut que les hausses concédées intègrent la croissance de l’Ipampa (2) », avertit Gérard You.
Nécessité de convaincre les distributeurs
D’après Frédéric Chausson, directeur des relations extérieures et du développement durable chez Sodiaal, « les discussions sont difficiles, mais l’esprit EGAlim perdure sur les marques nationales », bien que « les enseignes semblent à nouveau jouer le jeu de la déflation sur les marques de distributeurs ».
Malgré le contexte lié au Covid-19 et son impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs, ces derniers semblent pourtant enclins à aider les producteurs. C’est du moins ce que laissent penser les propos recueillis par la FNPL lors d’une action syndicale sur un marché parisien le 3 février. « Quand on explique qu’un centime de plus sur un yaourt de 125 grammes représente une hausse de 96 €/1 000 litres, les consommateurs se disent prêts ! », assure Daniel Perrin.
(1) Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis.
(2) Indice des prix d’achat des moyens de production agricole.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire