A l’occasion d'une conférence-débat au cours de laquelle La Coopération Agricole a annoncé se fixer un horizon Zéro émission nette (Zen) en 2035, Jean-Marc Jancovici, ingénieur-consultant spécialiste de l’énergie et du climat, a mis les pieds dans le plat. Verbatim.
Un Covid tous les ans pour tenir le +2°C en 2100
« En 2020, les émissions de gaz à effet de serre se sont rétractées de 5% au plan mondial, sous l’effet de la crise sanitaire. Ce taux de 5% correspond exactement au rythme auquel il faudrait s’astreindre pendant plusieurs décennies, pour contenir l’élévation de la température à +2°C d’ici 2100, un seuil où malgré tout, les sécheresses et les canicules seront plus marquées et plus récurrentes et où les forêts seront beaucoup plus inflammables qu’aujourd’hui ».
Un camion sur trois transporte des aliments
« En France, un camion sur trois transporte quelque chose qui se mange. La chaine agroalimentaire est très dépendante des hydrocarbures dans son organisation spatiale. Le modèle que l’on a bâti, ce sont des coopératives industrielles avec une chaine logistique extrêmement longue, qui s’approvisionnent sur de grands rayons d’action et exportent des produits très spécifiques et pas du tout diversifiés sur de grands rayons d’action. Cette organisation ne peut plus perdurer dans un monde sobre en énergie. Les gens qui font de la betterave doivent se faire à l’idée de faire autre chose car ça ne marche pas. On mange trop de sucre et on produit de l’éthanol se substituant à l’essence dont il va falloir se passer ».
Deux fois trop de vaches en France
« L’assiette des Français représente environ le quart des émissions de gaz à effet de serre de notre pays. La filière bovine représente entre la moitié et les deux tiers de cette empreinte. Il faut être sérieux : par rapport aux enjeux de réduction de gaz à effet de serre, il y a deux fois trop de vaches en France où 80% de la SAU, si on inclut les prairies, sont dédiés à l’alimentation animale ».
La nostalgie d’une certaine Pac
« L’agriculture, c’est un système long et lent, qui évolue à la faveur du renouvellement des générations. Si on veut réorienter le paysage agricole, ce n’est pas l’histoire d’une semaine ou d’une stratégie « stop and go ». Le pays doit repasser un contrat avec les agriculteurs sur quelques décennies. La société soumettra ses souhaits et on mettra en face des prix garantis à un certain niveau, un peu ce que faisait la Pac à une certaine époque ».
Marche arrière sur le modèle agricole
« Les solutions sont à l’opposé des évolutions que l’on a connues ces dernières décennies. Il va falloir déspécialiser une partie des régions agricoles, raccourcir les chaines logistiques, remettre des haies, stabiliser les sols, se passer d’un partie des produits phytosanitaires. Cela signifie remettre de l’argent dans le système, qui a été conçu pour être optimal au plan économique mais pas optimal en ce qui concerne le respect de l’environnement et la durée des actifs naturels. Dans une coopérative, on ne peut pas gagner plus d’argent sur la vente des intrants que sur celles des récoltes ».
Le prix de la matière première représente 2% du coût alimentaire
« Il y a deux siècles, l’alimentation coûtait les deux tiers de ce que gagnaient les Français. Aujourd’hui, le prix de la matière première représente 2% du coût alimentaire, le reste sert à payer les salariés et les murs de la grande distribution, les camions sur les routes, les campagnes de publicité, les actionnaires etc. 2%, c’est grosso modo la part de l’agriculture dans le PIB. Aujourd’hui la nourriture ne vaut rien et il va falloir revenir à un système où la nourriture va coûter quelque chose ».
Être payé cinq fois plus avec deux fois moins de vaches
« Les éleveurs laitiers qui vendent leur lait à la grande distribution exercent un métier très difficile, un métier de gagne-misère, avec un taux de suicide des plus élevés. Je suis favorable à un système où l’éleveur serait payé cinq fois plus en ayant deux fois moins de vaches, moyennant des cahiers des charges de types AOC où il prendrait des engagements sur ses pratiques, en matière d’alimentation, de bien-être animal, de méthanisation, un système dans lequel on paierait considérablement plus cher les produits agricoles ».
Comprendre les enjeux et jouer collectif
« Le préalable à tout changement, c’est de comprendre la problématique et les enjeux auxquels on est confrontés. Pour cela, il n’y a pas d’autre solution que de se former. On ne peut pas faire confiance aux médias, qui ne savent pas capitaliser, qui vous parlent d’un sujet le lundi et d’un autre le mardi. Quand les gens se forment, en général, ils tombent de leur chaise car ce qu'ils apprennent est beaucoup plus enquiquinant que ce qu’ils pensaient. La solution, c’est de faire des groupes de travail collaboratifs. Il y a à l’évidence quelque chose de très collectif à mettre en place pour avancer. On ne trouve pas forcément des solutions à tout mais on trouve des choses ».
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