Le trou se creuse chaque année un peu plus. En 2020, la France métropolitaine comptait 389 000 exploitations agricoles. C’est 100 000 de moins que lors du précédent recensement de 2010, dont 63 500 élevages. « Le recul de l’élevage n’est pas nouveau en France, mais l’on vit une accélération ces dernières années. Le phénomène touche la quasi-totalité des filières », s’inquiète Sébastien Windsor, président de Chambre d’agriculture France, lors de la restitution de l’étude « Regards d’avenir sur l’élevage en France », le 16 novembre 2023 à Paris.
Les chiffres récents le confirment. D’après l’Institut de l’élevage, entre 2017 et 2020 en France, le nombre de vaches laitières a reculé en moyenne de 1 % par an, et celui de vaches allaitantes de 2 %. Le rythme s’est depuis accentué, atteignant désormais – 2 % par an pour les laitières et – 3 % pour les allaitantes.
Le constat est analogue chez les porcs. « Le cheptel a diminué de 21 % en 20 ans », observe Thierry Pouch, responsable du service des références et études économiques à Chambre d’agriculture France. « La baisse de la production est plus rapide que celle de la consommation », pointe pour sa part Elisa Husson, ingénieure d’études économiques à l’Institut du porc, lors du « Grand rendez-vous de l’élevage porcin » organisé le 21 novembre 2023 par la Fédération nationale porcine, à Paris.
Du côté des ovins à viande, « la moitié du cheptel a disparu en 40 ans », résume Thierry Pouch. Quant aux volailles (œuf et viande), les dynamiques observées ces dernières années ont été entachées par les épisodes successifs d’influenza aviaire hautement pathogène. Dans ce panorama plutôt terne, seules les filières des laits de chèvre et de brebis s’en sortent bien, et enregistrent une « progression quasi constante » de leurs productions depuis 2014.
Forte concurrence
Résultat de cette dégringolade, « on pourrait sur certains segments, ou sur la totalité d’une filière, potentiellement perdre notre autonomie, estime Thierry Pouch. Par exemple, le taux d’autoapprovisionnement en produits laitiers diminue d’année en année (Taux d’autoapprovisionnement: calculé comme le ratio Production/Consommation. Un ratio supérieur à 1 indique schématiquement que la France produit plus qu’elle ne consomme. Elle est donc en capacité apparente d’assurer, au moins en volume et en moyenne, son autosuffisance.). On se rapproche aujourd’hui des 100 % alors qu’on était très largement au-dessus il y a encore dix ans. »
D’après FranceAgriMer, pour l’ensemble des viandes, cet indicateur s’établissait à 91 % en 2022, soit une chute de 27 % en 22 ans. La situation est contrastée selon les filières : pour l’heure, le porc résiste, avec 103 % d’autoapprovisionnement en moyenne sur les trois dernières années. Le plancher des 100 % a toutefois été franchi en viande bovine (95 %), et plus nettement encore en poulet (81 %) et en viande ovine (53 %).
Il en découle une dépendance aux importations (Dépendance aux importations : part des importations dans la consommation intérieure apparente. Plus ce taux est élevé et proche de 1, plus il suggère que l’alimentation des Français est assurée par le recours aux importations plutôt que par la production domestique). Elle est particulièrement marquée dans les circuits de la restauration hors domicile et, dans une moindre mesure, de l’industrie agroalimentaire.
« Les éleveurs français sont exposés à une forte concurrence, surtout d’origine intra-européenne », note Thierry Pouch. L’exemple le plus criant est celui du poulet. « En France, sa consommation a bondi de 122 % sur les 20 dernières années », indique Manon Raffray, agroéconomiste à Chambre d’agriculture France. Mais cet appétit n’a malheureusement pas profité à l’origine France. Cette statistique est désormais bien connue : un poulet sur deux consommés dans l’Hexagone est importé. D’après une étude menée par FranceAgriMer en 2021, 60 % des volailles consommées en restauration hors domicile sont d’origine étrangère. « Dans les chaînes de boulangerie, on atteint 80 % de viande importée dans les sandwichs au poulet », appuie Thierry Pouch.
« Banalisation de l’acte de production »
Comment en est-on arrivé là ? Pour Sébastien Windsor, le déclin de l’élevage français n’est seulement le fruit d’un manque de compétitivité et d’une insuffisante rémunération des producteurs. « La question du regard qu’ont les Français sur l’élevage se pose », estime-t-il. « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les objectifs d’autosuffisance de la France dans les principales filières animales ont été rapidement atteints, retrace Manon Raffray. Ils ont même dépassé les espérances. Cela a pu contribuer à une certaine banalisation de l’acte de production devant la moindre crainte de pénurie. » En parallèle, « l’urbanisation de la société a créé un éloignement de la plupart des Français de l’acte de production agricole, poursuit-elle. Une forte proportion de nos concitoyens ne connaît plus que les animaux de compagnie, ce qui change le regard sur l’élevage. »
Autre point noir pour le maillon production : celui de l’astreinte. « Travailler 7 jours sur 7 n’est aujourd’hui plus acceptable dans la société », constate Sébastien Windsor. Et le président de Chambre d’agriculture France d’assurer que « lorsqu’on refuse l’augmentation de la taille des élevages, on se tire une balle dans le pied pour le maintien des productions. Demain, on ne trouvera personne pour s’occuper de 60 vaches tout seul. Par contre, pour s’occuper de 180 vaches à trois en se libérant des week-ends, on trouvera du monde. »
Dans ses trois scénarios à l’horizon de 2030, le rapport de Chambre d’agriculture France table sur une « marginalisation, voire une disparition de l’élevage français en cas de prolongement de la situation actuelle », expose Thierry Pouch. Un scénario intermédiaire envisage des compromis avec la société « pour essayer de ne pas renoncer à l’élevage, et d’en faire des filières répondant à une demande d’approvisionnement local ». Seule une trajectoire de « rupture » permettrait une « prise de conscience de l’importance plurielle de l’élevage » avec, à la clé, une recapitalisation des cheptels. Mais la marche semble haute. « Quand l’élevage et les infrastructures qui lui sont adossées disparaissent, il y a une forme d’irréversibilité, prévient Sébastien Windsor. Et remonter la pente a un coût incroyable. »
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