Journal Libération du 30/01/2015 - Le premier plan Ecophyto issu du Grenelle de l’environnement visait à réduire de 50%,
«si possible», le recours aux pesticides en dix ans, soit d’ici à 2018
- ô surprise, cela n’a pas été possible. L’échec est même cuisant. Aucune baisse constatée. Pire, le recours aux pesticides a augmenté de 9,2% en 2013. La France reste le troisième consommateur mondial de ces produits, bien que leur impact sur la santé humaine, la biodiversité ou la qualité de l’eau et de l’air ne soit plus à démontrer.
Alors qu’il doit annoncer ce vendredi un nouveau plan de lutte contre ce fléau, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, en détaille les mesures pour
Libération.Et revient sur son «projet agroécologique»
(lire Libération du 17 février 2014), qui fête sa première année de mise en œuvre effective… sans être dénué de contradictions.
Pourquoi un deuxième plan aurait-il plus de chances de réussir que le premier ?
La France consomme beaucoup de pesticides parce qu’elle a beaucoup de surface agricole, viticole et arboricole : on cumule donc un volume plus important que les autres pays européens. Ramené à l’hectare, on est, avec 3,4 kg/ha, dans la moyenne européenne
[4 kg/ha en 2011-2012]. Mais on ne peut se contenter de cela. Si le premier plan n’a pas marché, c’est qu’on a fixé un objectif trop ambitieux sans se donner les moyens de changer de modèle de production.
Et donc ?
On va fixer l’objectif d’une baisse de 50% en 2025, avec un palier intermédiaire de 25% en 2020. Et s’appuyer sur l’expérience des 2 000 fermes pionnières écophyto. Elles ont vu l’utilisation des pesticides baisser en moyenne de 12% en 2013, grâce à la rotation des cultures, la diversification variétale ou le recours au biocontrôle
[la lutte biologique]. Il faut diffuser ces bonnes pratiques. On va porter le nombre de ces fermes à 3 000. Chacune entraînant dix exploitations autour d’elle, on parie sur l’effet tache d’huile. On peut utiliser moins d’intrants et augmenter les rendements.
Une vision guère partagée par tous les agriculteurs…
C’est vrai. Il faut continuer le travail de conviction. Dans un sondage qu’on révèle aujourd’hui, 45% des agriculteurs se considèrent déjà engagés dans l’agroécologie et 13% sont prêts à le faire. Il y a des résistances, mais le potentiel est là. Car les moins de 35 ans sont beaucoup plus impliqués : 31% qui ne sont pas engagés dans l’agroécologie pensent le faire.
Entre modèle écologique et productiviste, deux visions de l’agriculture et de l’alimentation s’opposent toujours ?
A
Libération, vous avez tendance à penser que si vous faites du bio, vous êtes bon, et si vous faites du conventionnel, vous êtes un gros naze. Il faut trouver une troisième voie : l’économie, ça compte, mais ce n’est pas contradictoire avec l’environnement. C’est la double performance économique et écologique, triple avec le volet social. On va passer d’une agriculture intensive en intrants, en chimie, en azote, en énergie fossile à une agriculture intensive en connaissance et en innovation.
Concrètement, comment s’articulera votre plan ?
On va mettre en place un dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytosanitaires
[CEPP], avec une obligation pour les distributeurs de ces produits de baisser de 20% le nombre de doses utilisées sur cinq ans. Au lieu de vendre un produit, ceux-ci seront incités à vendre plus de services, c’est-à-dire apprendre aux agriculteurs à utiliser la juste quantité ou des techniques alternatives. Pour évaluer les progrès, on se basera sur les Nodu, l’indicateur de référence utilisé pour évaluer le nombre de doses de pesticides utilisées en agriculture. Si un distributeur n’atteint pas son objectif de 20% en cinq ans, une pénalité de 11 euros par Nodu non économisé lui sera appliquée, soit l’équivalent de sa marge nette.
Un peu le principe du pollueur-payeur ?
On crée un système proche des certificats d’économie d’énergie, on engage un processus de responsabilisation. Avec un petit bâton à la fin, mais aussi une carotte. Ceux qui auront été au-delà de l’économie de 20% pourront vendre leurs Nodu. On fera une revue au bout de deux ans pour voir s’il n’y a pas de «passagers clandestins», des acteurs qui ne bougent pas.
Les syndicats agricoles sont partants ?
C’est un peu difficile, mais les lignes bougent. Les syndicats doivent comprendre que les phytosanitaires sont comme une bombe à retardement. Si on ne fait rien, le jour où il y aura un problème, il faudra introduire des normes draconiennes d’un coup. Tout ce que les syndicats n’aiment pas. Nous, on applique un système de responsabilité sur cinq ans. Concret, avec un objectif et des modalités. Si tu réussis, tu réduis tes dépenses de produits phyto. On doit le faire. Et contrairement au marché du carbone, où le prix était fixé par le marché - ce qui ne fonctionne pas -, là, c’est nous qui fixons le prix.
Comment espérer réduire l’utilisation des pesticides sans séparer la vente de produits phytosanitaires et le conseil ? Cela alimente les conflits d’intérêts…
Il y a 15 000 salariés des chambres d’agriculture et autant de salariés de coopératives qui vont au contact des agriculteurs. Si on sépare la vente de phytos et le conseil, on perd un potentiel d’action de 15 000 personnes. Impossible. Avec notre nouveau système favorisant le service et les produits de biocontrôle, on neutralise le conflit d’intérêts.
François Hollande a promis en novembre que la France défendrait à Bruxelles le fait d’aller plus loin sur les pesticides néonicotinoïdes, qui ravagent les abeilles et autres pollinisateurs. Qu’en est-il ?
On a demandé à l’Autorité européenne de sécurité des aliments
[Efsa] une étude sur leur impact sur la faune pollinisatrice qui sortira cette année, pour relancer le débat à l’échelle européenne et savoir si on peut entraîner l’Europe sur le sujet. Mais si on supprime du jour au lendemain ces produits, qui ont remplacé des produits encore plus nocifs, on risque de se retrouver sans alternative disponible. Si on veut réussir, il faut prendre le temps de poser les bases de ce qui va s’y substituer. Dans cinq ans, on aura des alternatives. Dans l’immédiat, on propose de reporter leur utilisation le soir, quand les abeilles ne butinent plus.
Votre «agroécologie» parle de réconcilier économie et écologie. Comment éviter que ce concept ne soit dévoyé ?
On va mettre à la disposition des agriculteurs un logiciel leur permettant d’évaluer leur engagement dans l’agroécologie. L’idée est d’aller à terme vers un système de certification et éviter que des groupes agroalimentaires utilisent le concept avec le risque de le dévoyer. Cela commence déjà, avec certaines grandes entreprises qui mettent en avant l’agroécologie dans leurs pubs.
Sur le terrain subsistent des incohérences. Pourquoi avoir facilité la création et l’extension des porcheries industrielles ?
Si on n’avait que des Amap
[associations pour le maintien d’une agriculture paysanne] pour nourrir tout le monde, on n’y arriverait pas. On a besoin d’une industrie. Au-delà de 400 porcs, en France, l’éleveur devait demander une autorisation à l’administration. Alors que la réglementation européenne exigeait seulement de le faire au-delà de 2 000 porcs. Nous nous sommes calés sur celle-ci. Cela permet de ne plus attendre trois ans pour valider un projet.
Un joli coup de pouce à l’agrobusiness ?
Non ! C’est donner aux agriculteurs la possibilité de se moderniser et d’assurer leur pérennité. Certains bâtiments d’élevage ne sont parfois pas aux normes de bien-être animal, ni économes en énergie, je suis sûr qu’à
Libé, vous êtes très sensibles à ça…
Admettez qu’il y a une contradiction entre le discours et la pratique…
L’agroécologie, ce serait des petits établissements avec des petits cochons qui se baladent dehors ? Il y a des contraintes économiques, tout le monde ne peut pas produire ou acheter du porc noir de Bigorre. Sur un produit standard, on est en compétition avec d’autres. Pour que les porcs transforment au mieux leur alimentation en viande, les bâtiments et l’organisation de la production, c’est très important. On pourrait se dire : «pas de ça chez nous», et laisser se délocaliser les productions au Danemark ou en Allemagne.
L’affaire du barrage de Sivens alimente le débat sur les grands projets inutiles et sur l’irrigation…
Je suis favorable à une retenue plus petite. On a besoin d’irrigation. Surtout pour maintenir de l’élevage dans des zones où les sécheresses deviennent perturbantes avec le réchauffement climatique.
Vous avez défendu le verdissement de la Politique agricole commune (PAC). Mais on pourra mettre des pesticides sur les surfaces d’intérêt écologique. Ce n’est pas très vert tout ça…
Je suis d’accord. Mais c’est plus vert qu’avant. On progresse. Par rapport au débat sur les deux mondes qui s’opposent, on est en train d’ouvrir un espace nouveau, c’est ça qui me motive.
Chaque Etat européen peut désormais décider de cultiver ou non des OGM. Recul ou avancée ?
Les Verts et José Bové voulaient interdire les OGM à l’échelle européenne, tout court. Mais on n’a aucune majorité pour le faire. Jusqu’ici, on se contentait de moratoires qui pouvaient être cassés par le Conseil d’Etat. Désormais, les Etats auront le droit de refuser les OGM pour des questions liées à la dissémination dans l’environnement, la protection des productions de qualité, etc.
Y êtes-vous vraiment opposé ?
A ceux de première génération producteurs de pesticides ou résistants aux herbicides, oui. Aux Etats-Unis, ils ont tellement utilisé d’OGM résistants au Roundup que les mauvaises herbes y sont devenues résistantes. Mais je suis pour l’ouverture d’un débat sur les OGM permettant des réelles améliorations, comme le riz enrichi en vitamines ou les cultures résistantes au stress hydrique. Nous remettrons donc en place le haut conseil sur les biotechnologies.
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