mercredi 11 décembre 2013

L’invasion des loups meurtriers

forum Alfred Grosser  (journal LA CROIX du 11 décembre 2013)

Oui, on peut aimer les loups et être aimé d’eux, comme le raconte une de nos grandes pianistes (1). Oui encore, il existe deux textes européens, devenus lois françaises, qui protègent le loup dans le parc du Mercantour. La directive « habitats » du 21 mai 1992 considère que « la préservation, la protection et l’amélioration, voire le rétablissement de la qualité de l’environnement, y compris la conservation des habitats naturels de la faune sauvage (dont les loups) constituent un objectif d’intérêt général pour la Communauté ».

Malheureusement, les loups n’ont pas consenti à rester dans le Mercantour. Ils se sont répandus, en se multipliant (environ de 20 % par an) sur un vaste territoire sans cesse élargi. Devrait alors s’appliquer l’article 8 de la Convention prévoyant des dérogations pour « prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux eaux et autres formes de propriété ».
Il faut croire que les moutons, leurs bergers, leurs pâtures ne relèvent pas de cet article, puisque les préfets, décidant de les protéger, sont régulièrement désavoués par les tribunaux administratifs se fondant sur le texte européen.
Pour le seul département des Alpesde-Haute-Provence, on comptait, minovembre 2013, depuis le début de l’année, 298 attaques de loups sur les troupeaux. 784 victimes étaient indemnisées, 72 communes étaient touchées. En 2012, dans l’ensemble des régions concernées, plus de 6 000 moutons avaient été tués et l’État avait versé 20 millions d’euros pour indemniser les propriétaires et aider à la protection des troupeaux. Les loups tuent. Les moutons qui leur échappent sont affolés et s’enfuient, les brebis avortent. Les bergers sont supposés se protéger et protéger les troupeaux à l’aide de chiens – que les loups ont appris à contourner ou à détourner.
La presse locale rend compte des polémiques que la situation a créées et dont un ouvrage très éclairant s’est fait l’écho (2). Le 14 octobre, à Lyon, s’est réuni le Groupe national loup. Les associations écologistes ont quitté la salle en signe de protestation contre le « dérapage » du ministère de l’agriculture qui a mis en place cet été une nouvelle mesure sur les tirs de prélèvement sans accord avec le Groupe national loup. Les éleveurs, soutenus par les syndicats agricoles, trouvent que le ministère ne va pas assez loin dans la permission de « réduction ».
Il ne s’agit pas seulement de « gros sous » ni de la charge imposée aux administrations de contrôler les dégâts puis de mettre en route les indemnisations. Qu’il s’agisse des Alpes-Maritimes, des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes, des Savoies, du Vercors, partout le problème est le même et les réactions sont les mêmes, notamment chez les bergers. « Parcs de regroupement nocturne des troupeaux, chiens de dissuasion, équipements de protection électriques, tirs d’effarouchement, tirs de défense. C’est le sens même de notre métier qui est inversé ! Bientôt il n’y aura plus de berger qui voudrait pratiquer ce métier avec la peur constante au ventre. » Un éleveur raconte un lendemain matin : « Cinquante-trois agneaux, six mères allaitantes écharpés, un troupeau apeuré, deux cents brebis et les agnelets tremblants, débandés, ça ruait dans tous les sens. À cinquante mètres, je ne pouvais plus les approcher…(3)  »
J’avoue que mon parti est pris et je me sens plein d’incompréhension pour l’incompréhension des associations écologistes qui multiplient les recours contre les interventions des préfets. Au nom de quoi ? L’été, les troupeaux ne peuvent plus monter vers les pacages. Le fait qu’ils broutent les herbes fait partie de la préservation de la nature. Leur absence fait revenir de larges surfaces à l’état sauvage. L’élevage, les moutons, les bergers, la transhumance font partie d’une vieille tradition. Or l’écologie proclame sans cesse son souci de voir protéger la nature et les traditions menacées par l’économie moderne. Seul le loup, fraîchement réimplanté, incarnerait et la nature et la tradition. Leur logique m’échappe. Il est vrai que la passion est telle que, dans bien des discours et de textes, on trouve l’admiration pour la noblesse du loup et le mépris pour ces bêtes stupides que seraient les moutons, tandis que les bergers seraient des sortes de demeurés. Mais, si nous passons au plan politique, considérons qu’aux yeux de bien des défenseurs des bergers et des moutons, la responsabilité de la triste situation revient à l’Europe, avec ses conventions et ses directives. Quelle tentation pour le vote de l’an prochain !
(1) Variations sauvages, d’Hélène Grimaud, Laffont, 2003. (2) Le loup est revenu, d’Anne Vallaeys, Récit, Fayard, 2013, 348 p., 19 €. (3) Citations extraites du Loup est revenu d’Anne Vallaeys.
Les loups tuent. Les moutons qui leur échappent sont affolés et s’enfuient, les brebis avortent.

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