samedi 16 novembre 2024

« Un exosquelette, c’est comme une chaussure, il faut l’essayer »

 


Quels sont les avantages et inconvénients de l’utilisation d’exosquelettes en situations réelles de travail agricole ? Les retours d’expérience sont plus que mitigés : la plupart des utilisateurs rencontrent plus de gêne que de soulagement. Pourtant, pour ceux chez qui « ça marche », le bénéfice est important.

Bien rares sont les agriculteurs qui n’ont pas mal au dos. Ou aux épaules. Ou aux poignets. Les métiers agricoles, qu’ils soient dédiés aux productions végétales ou animales, qu’ils soient spécialisés ou diversifiés, sont souvent pénibles physiquement. Depuis plusieurs années, cette pénibilité physique est de mieux en mieux reconnue et prise en compte par les organismes chargés de la santé et par la profession agricole elle-même, qui sait que la pénibilité constitue un frein à l’attractivité du secteur.

Dans ce contexte de prise de conscience de la pénibilité, le monde agricole a vu apparaître de plus en plus de propositions commerciales d’exosquelettes. Un exosquelette, c’est une technologie externe, revêtue par une personne pour lui apporter une assistance physique par compensation ou par augmentation de ses capacités. Les exosquelettes peuvent être passifs (avec des matériaux ou des ressorts qui stockent et libèrent de l’énergie mécanique) ou actifs (c’est-à-dire qui utilisent une énergie électrique pour assister un mouvement).

Des retours d’expériences en situation de travail

En parallèle de l’arrivée de ces dispositifs sur le marché, quelques études en situation de travail ont été réalisées, par des instituts techniques et des organisations professionnelles agricoles. Car même si les exosquelettes disposent bien, avant leur mise sur le marché, de références techniques, celles-ci sont établies en conditions contrôlées : soulèvement de poids dans un seul axe par exemple. Les conditions réelles du travail agricole sont bien plus variables, complexes et imprévisibles.

Fin septembre dernier, trois partenaires impliqués dans cette thématique, le Réseau mixte technologique (RMT) travail en agriculture, la MSA et l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), ont consacré un webinaire à quelques retours d’expériences sur l’utilisation d’exosquelettes en situations de travail.

Traite : soulager les épaules

Une étude a été menée par la chambre d’agriculture de Normandie et la MSA sur l’utilisation d’exosquelette en salle de traite. Trois outils différents ont été testés dans trois fermes laitières, chacun pendant un mois. Cette étude faisait suite à un premier essai réalisé à la ferme expérimentale de la Blanche-Maison (50), qui n’avait pas été concluant.

Ce nouvel essai n’a pas vraiment modifié l’évaluation, mais il a permis de mieux comprendre ce qui « coince » : même si le dispositif apporte une réelle aide sur certains gestes, et même un soulagement lors de la première utilisation, il s’avère, à l’usage, plus générateur de contraintes que de bénéfices. Les utilisateurs pointent le poids des dispositifs solides, la fragilité des dispositifs plus légers (et donc la peur de les casser), le temps passé à régler l’exosquelette (surtout si on doit changer de trayeur), la gêne augmentée dans certains gestes, le salissement avec les bouses de vaches - « ça n’est pas agréable à enfiler quand c’est sale » -, l’envergure du dispositif, qui coince dans les passages d’homme ou qui s’accroche dans des câbles…

Par ailleurs, le principe de l’exosquelette étant de compenser un muscle très sollicité par un autre, dans le cas de la traite, le soulagement de l’épaule a finalement occasionné des douleurs nouvelles au dos… Même si elles étaient très motivées par le projet, aucune des fermes de l’enquête n’en a acheté.

Porc : soutenir le dos pendant la vaccination

En Bretagne, la MSA Armorique et la chambre d’agriculture ont conduit une étude sur des dispositifs destinés aux travailleurs en production porcine. L’objectif de ces exosquelettes était de soutenir leur dos pendant la tâche de vaccination des porcelets où il faut se baisser, soulever les animaux et réaliser des gestes répétitifs à un rythme soutenu.

Douze personnes étaient volontaires et les enregistrements réalisés par électromyographie durant les essais ont montré que les muscles du dos étaient assistés quand l’utilisateur travaillait « en face de lui ». Toutefois, la plupart des testeurs ont jugé que le service rendu était insuffisant, dès qu’il y avait un mouvement de torsion (ce qui est le cas souvent avec des porcelets bien actifs). A la fin de l’essai, seule une personne sur les douze envisageait d’acheter son équipement.

En Pays de la Loire, la chambre d’agriculture et la MSA ont participé à l’étude de deux dispositifs autour du gavage de canard gras, l’un, motorisé, pour soulager la main qui tient le canard, l’autre, passif, pour aider l’épaule qui actionne la gaveuse. Là encore, si l’épaule a été soulagée, de nouvelles douleurs sont apparues dans le dos. Quant à la main, le dispositif était efficace, mais il s’usait trop vite : un gant fait seulement 20 000 cycles, soit seulement deux bandes de canard, ce qui est trop peu par rapport à son coût de 450 euros.

Maraîchage et viticulture : test en cours

En productions végétales, quelques essais ont été conduits avec l’exosquelette Exoviti sur la station de production maraichère de la chambre d’agriculture de Bretagne à Auray (56). Les trois agents qui l’ont testé n’ont pas été convaincus : en maraîchage diversifié, les tâches sont certes pénibles physiquement, mais variées. Les salariés ont trouvé que l’outil manquait de souplesse, ne convenait pas à un travail à genou et ne permettait pas de monter sur le tracteur. « C’est peut-être adapté en viticulture, pour une posture penchée en avant, mais nous, on change naturellement de posture ».

En viticulture, sur la tâche exclusive de la taille de vigne, un essai de plus grande ampleur est encore en cours, sous la supervision de la MSA du Languedoc. Il se tient sur trois ans, avec 33 participants et trois modèles d’exosquelettes : chaque modèle a été testé quelques jours et chaque participant a choisi son modèle pour la suite de l’expérience. Là encore, l’enthousiasme total des débuts a vite reculé : plus de la moitié des testeurs ont ressenti de nouvelles gênes, certains étant même tellement gênés (9 personnes) qu’ils ont arrêté l’expérience. En revanche, chez 20 % des testeurs, il y a pour l’instant (première année), un réel soulagement, dans les douleurs et dans la pénibilité.

« J’ai retrouvé une condition physique alors que je songeais à arrêter mon activité »

Après tous ces avis en demi-teinte, le témoignage de Jean-François Craipeau, maréchal-ferrant itinérant, a redoré le blason des exosquelettes : pour lui, l’outil a carrément changé sa vie et remis « à zéro » son compteur de ferrage de chevaux, lui qui, après 20 ans de métier, s’apprêtait à cesser son activité en raison de ses douleurs lombaires.

« J’ai découvert par hasard cet outil dans un reportage. J’ai fait un premier achat en 2018 et j’ai ressenti un soulagement immédiat. J’ai retrouvé une condition physique, alors que je ne fais pas spécialement de sport. L’outil dispose de vérins électriques qui contraignent le mouvement et m’obligent à contracter les abdos, ce qui décomprime les lombaires ». Le maréchal-ferrant en a d’ailleurs acheté aussi pour ses deux salariés, convaincu qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Sa conclusion après plusieurs années : « Il ne faut pas avoir d’idée reçue sur ce genre de dispositif, c’est votre corps qui vous dit si c’est fait pour vous ».

« Ecouter son corps » est en effet l’un des messages à retenir de ce webinaire, et c’est ce qu’exprime Maria-Gabriella Fazio-Tirrozzo, médecin du travail à la MSA Languedoc : « Un exosquelette, c’est comme une chaussure, il faut l’essayer ». Les autres messages clés ont été de raisonner en balance bénéfice-risque en situation de travail et en lien avec des professionnels de santé, de penser prévention collective avant prévention individuelle, de réfléchir aussi à l’organisation du travail et bien sûr de ne pas oublier les bons conseils des kiné : échauffements et étirements.

Tous les espoirs sont cependant permis : dans de nombreux cas, comme celui de Jean-François, des exosquelettes ont permis à des personnes de rester en poste alors qu’elles songeaient à arrêter. En outre, la plupart des tests ont permis de recueillir de nombreuses données, sur les gestes et postures, sur le travail effectif des muscles et sur la santé physique des personnes : comme la robotique, les exosquelettes vont progresser techniquement en agriculture et probablement rendre bientôt de réels services aux travailleurs de ce secteur.

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