Nous nous sommes retrouvés ce vendredi 26 janvier un bon groupe d'une quarantaine de personnes de la Société Centrale d'Agriculture. Première étape, grâce à l'entremise de Bernard Gannac, que nous remercions vivement : une visite passionnante de l'élevage bovin de Dominique Pradels, situé à Bournazel, à une trentaine de km au nord-ouest de Rodez.
En quarante minutes, Dominique nous résume la saga du "Veau d'Aveyron et du Ségala".
Un développement exemplaire
Cette belle histoire débute en 1991 à son installation sur la ferme familiale
À l'origine,15 hectares et quelques animaux laitiers.
Trente-cinq ans plus tard, Dominique, 58 ans, aux côtés de son épouse Evelyne et de leurs 3 enfants, exploite 85 hectares et mène un troupeau de 90 vaches mères, Limousines, en production de Veau d'Aveyron et du Ségala.
Le veau sous la mère
Les ventes de veau se font alors sur les foires. En 1993, le Veau d'Aveyron obtient le Label Rouge; pour les éleveurs aveyronnais, il s'agit de vendre un produit de leur ferme qui défende les valeurs qui les animent: une production de qualité méritant la confiance des consommateurs. C'est un veau élevé sous la mère toute sa vie, de 6 à 10 mois, complémenté en céréales et foin, atteignant à maturité un poids de 170 à 270 kg maximum. Le résultat donne une viande rosée, tendre, dont la cuisson s'apparente à celle du bœuf.
Recherche du débouché
Les clients habituels étaient plutôt italiens. Mais ces derniers ne montrent que peu d'intérêt pour le label. Il s'agit donc de trouver un marché français demandeur. Un stage en grande distribution à Toulouse du fils d'un des éleveurs les amènent à rencontrer la direction générale du groupe Auchan, qui viendra en retour rapidement visiter quelques fermes aveyronnaises dont celle de Dominique.
"Votre produit nous intéresse; aux Aveyronnais de s'organiser pour nous livrer en quantité un produit de qualité."
Ce sera la création de la SA4R, 4R pour Responsabilité, Rigueur, Régularité, Réussir.
La SA 4R négocie avec Auchan et Bigard, dans des échanges basés sur la confiance.
Le projet est de produire un veau de qualité unique, dans le respect de l'environnement, de la bientraitance animale et des attentes des consommateurs. Sous la présidence de Pierre Bastide, ce sont très rapidement près de 160 éleveurs qui se regroupent au sein de la SA 4R.
Dans la foulée, l'IGP "Veau d'Aveyron et du Ségala" est obtenue fin 1994 ; elle fixe la production sur un territoire : Aveyron et Tarn, essentiellement, plus quelques cantons du Lot, du Cantal et du Tarn-et-Garonne. L'abattage est confié au groupe Bigard de Castres, premier transformateur de viande en France (400 salariés en 2024 sur le site de Castres). Leur canton étant limitrophe de la zone IGP, la dérogation est obtenue.
De son côté Auchan offre à la SA 4R le deuxième réseau de grande distribution en France avec 152 Hyper en 1995. Chez Auchan, c'est Arnaud Mulliez, le fils du fondateur, qui est un des contacts privilégié; il assure à la SA 4R d'acheter le veau au prix souhaité par l'éleveur, tant qu'il est en phase avec le marché; en contrepartie la SA 4R contribue par ses éleveurs à la promotion du Veau d'Aveyron et du Ségala dans les magasins du groupe; les animations se font sur deux jours les vendredi et samedi; rapidement rejoints par un troisième jour consacré à la visite des merveilles de la France, en famille!
Il s'agit aussi pour les producteurs de veau d'une superbe ouverture hors du monde agricole.
Le retour des consommateurs est suivi par Auchan via des questionnaires administrés dans les magasins sur leurs attentes. Le profil de l'éleveur de veau des débuts se résume en une formule " 40 ans, 40 ha, 40 vaches".
De quelques centaines de têtes, la SA 4R atteint rapidement 12000 veaux par an; la crise de la vache folle en 1996 contribuera à assurer un report de consommation sur ce veau rosé .
Fin 2023 la SA 4R réalise un chiffre d'affaires de 24 millions d'euros sans aucun salarié ! Les salariés sont préférés sur les fermes. C'est la consécration d'un vrai partenariat qui s'est engagé entre des éleveurs -la SA 4R-, le groupe Bigard et le groupe Auchan. Aucune exclusivité n'est signée, seule la parole donnée compte ! "Ce ne sont pas les contrats qui font la durée des mariages"
Extension vers d'autres marchés et développements connexes
De 160 actionnaires, la SA 4R passe à près de 300 éleveurs actionnaires ou simples fournisseurs. En 1998, une diversification est opérée en direction des entreprises via Sogeres, aujourd'hui filiale de Sodexo; plus récemment, en 2020, le groupe Métro se montre intéressé par le "Veau d'Aveyron et du Ségala" pour la restauration hors foyer; enfin, en local, la SA 4R assure la promotion du Veau d'Aveyron sous la marque "Ces Gars-là nous Régalent".
La coopération avec le groupe Bigard permet aux éleveurs de livrer toute leur production y compris les vaches de réforme ou les veaux qui dépassent le poids réglementaire.
Pour les espèces bovines représentées, le Veau d'Aveyron et du Ségala provient à 80 % de Limousines, un peu moins de 20 % de Blonde d'Aquitaine et quelques Aubrac. Nous verrons même une Salers noire dans l'élevage de Dominique.
Le prix d'achat à l'éleveur est assez stable: 1200€ la carcasse de veau en 1994 (environ 207 kg en moyenne); 1600 € le veau en 2023, 6,60 €/kilo de carcasse; le poids moyen est aujourd'hui d'environ 240 kg. Le regroupement au sein de la SA 4R apportera d'autres déploiements judicieux aux éleveurs. Par exemple, dès 2006-2008, le développement du photovoltaïque est lancé sur près de 11 hectares de toiture chez 150 éleveurs qui souscrivent dans un montage juridique et financier se faisant à coût zéro pour l'agriculteur.
Et demain...
En 2024, Dominique Pradels décide cependant avec quelques éleveurs de suivre désormais leur propre voie. La loi Egalim est passée par là; elle ne tient pas toujours compte du client et de l'équilibre fragile de prix existant entre offre du producteur et attentes du consommateur, ce qui pourrait menacer la filière "Veau d'Aveyron et du Ségala", pourtant une réussite exemplaire jusque là: 30% des ventes de veau dans le groupe Auchan contre 2% au plan national.
Dominique, en passionné de sa production d'exception, compte bien poursuivre l'aventure. Avec son fils qui est en formation à l'extérieur si tout se passe bien.
Les 90 vaches-mères de l'élevage de Dominique Pradels, toutes Limousines à l'exception donc d'une Salers cette année, protègent jalousement leurs veaux comme nous pourrons le constater lors de la traversée de la belle stabulation...
De l'Agriculture à la Culture
Un repas du terroir pris à l'Auberge du Donjon fit bien sûr honneur au Veau d'Aveyron et du Ségala.
Après un mandat de maire à la mairie de Bournazel, Dominique Pradels, maintenant premier adjoint, fit pour l'après midi la transition avec une autre famille passionnée dont il a accompagné une partie de l'aventure ces dernières années:
Gérald et Martine Harlin, propriétaires du château de Bournazel.
La famille Harlin nous accordera le privilège d'une visite exceptionnelle de cette demeure Renaissance, la plus importante du sud de la France.
"Intronisation » traditionnelle d'un nouveau membre SCA.
Mais avant de quitter notre table d'hôtes, et sur sa lancée de 2023, la Société Centrale d'Agriculture poursuit la sympathique intronisation de nouveaux membres à l'occasion de ses rencontres. En cette fin janvier 2024, c'est Alain Fabre que nous avons le plaisir d'accueillir, sachant qu'Alain a suivi les activités de la SCA depuis son retour en Aveyron.
Alain aura la modestie de ne pas rappeler les étapes de ses 24 ans passés à la tête de RAGT. Rappelons cependant qu'il forma, de 2005 à 2013, comme président du Conseil de Surveillance de RAGT, un formidable tandem avec Edouard Fabre, prenant la suite de leurs aînés Emile Singla et Gabriel Fabre.
Chacun sait que Gabriel et Edouard ont été les deux derniers présidents de la SCA.
A l'heure de quitter RAGT en 2013, Alain créé RAGT ENERGIE, axée sur la mise au point de biocombustibles et la valorisation énergétique de la biomasse,
devenu un acteur clé au service de la décarbonation de l'industrie. Sa spécificité a été de créer une formulation pour la fabrication d'agro-pellets, dénommés Calys, aujourd'hui largement distribués en France au travers d'un réseau de concessionnaires; les formules sont adaptées en fonction de la disponibilité des matières premières locales et produites aujourd'hui à hauteur d'environ 30 000 tonnes. RAGT ENERGIE développe également un laboratoire d'analyses de la biomasse et des conseils en ingénierie ; elle emploie un équivalent temps plein d'une dizaine de salariés.
Une perle de la Renaissance en Aveyron
Puis nous suivons la famille Harlin à la découverte du château de Bournazel.
Bournazel est construit entre 1542 et 1565 à la demande de Jean de Buisson, Sénéchal du Rouergue. Il est bâti dans le plus pur style Renaissance sous la houlette de Georges d'Armagnac, évêque de Rodez puis ambassadeur de François 1er à Venise, et de son secrétaire Guillaume Philandrier. C'est à ce dernier que nous devons le fronton de la façade occidentale de la cathédrale de Rodez.
Sous la Révolution, un incendie ravage une partie importante du château, en 1790. Classé en 1862 puis déclassé des Monuments Historiques en 1888,ce qui lui vaudra de nouvelles destructions, le château est reclassé en 1942.
Grâce à l'entremise de l'architecte des Bâtiments de France, Louis Causse, la famille Harlin le rachète en 2007, alors qu'il fait office de maison de repos pour les mineurs de Decazeville.
En une dizaine d'années, la famille Harlin restitue à Bournazel ses splendeurs architecturales, son mobilier Renaissance et finalement ses jardins, aujourd'hui classés "jardin remarquable". Une collection de peintures des XVI et XVII, une chapelle du XVII, une bibliothèque en voie de constitution achèvent de redonner à l'ensemble la richesse et le raffinement qui ont caractérisé cette époque foisonnante de notre histoire.
La Société Centrale d'Agriculture Aveyron-Occitanie remercie infiniment Dominique Pradels, Gérald et Martine Harlin pour le précieux temps qu'ils nous ont consacré. Leur passion contagieuse nous a enthousiasmés ; Nous leur souhaitons une belle poursuite dans leurs aventures respectives.
Patrick GREGOIRE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire