Géodrilologue, vous connaissiez ce terme ? Marcel Bouché, jardinier mais aussi ancien chercheur au CNRS ou à l'Inra, est l'un des rares spécialistes mondialement reconnus en vers de terre. Il expose ici des savoirs acquis pendant une carrière, décennies durant lesquelles cet obscur animal semble négligé par les agriculteurs et...peu prisé du monde scientifique.
Lombrics ? Lombriciens ? Vers, ou vers de terre ? Les Annélides sont « sortis de la mer » aux alentours de - 800 millions d'années ; avec des passages par l'eau douce un peu plus récemment, puisqu’ils dégradaient les sédiments de bords d'eau comme les géologues l'ont montré. Les vers de terre, quant à eux, ont de l'ordre de 200 millions d'années.
Darwin (1809-1882) soulignait déjà qu'ils font le même travail que la charrue inventée par l'homme. "On ne sait pas encore grand-chose sur ces vers" dit l'auteur de la monographie qui vient d'être publiée. Et de poursuivre : "quand je commence ma carrière à la paillasse d'un laboratoire, on doit connaître 25 espèces en France, on est maintenant à environ 250, ce qui n'est qu'une infime fraction des espèces de la planète". Aujourd’hui, on fait juste le constat des inconvénients à maltraiter les sols, alors même qu'il fut nécessaire d'utiliser des engins mécaniques pour les cultiver.
Des primitifs très utiles, des infatigables laboureurs
Dans un sol riche, les vers de terre peuvent être de l'ordre de 300 tonnes à l'hectare, soit environ 300 000 individus. Malaxage, décomposition, recyclage... Ils font partie intégrante du cycle "sol-plantes-air-eau" et à plus d’un titre. Ils creusent des galeries verticales ou horizontales selon les espèces : ils brassent la terre, l'aèrent, la rendent plus meuble pour que les plantes puissent pousser ; ils participent à la porosité du sol, favorisant l’infiltration de l’eau ; ils interviennent activement dans le cycle de l'azote... Et certaines espèces de vers décomposent les feuilles coriaces des arbres.
Le livre invite à découvrir le fonctionnement de cette "pompe pneumatique" : par leur transit intestinal, les vers dégradent les litières en forêts ou les résidus laissés par les cultures, fractionnant les végétaux qui se décomposeront plus vite sous l’effet des micro-organismes. Ils entretiennent donc la fertilité du sol, tout en participant aussi au développement d'un écosystème fragile aux abords des racines des plantes. Des centaines de tonnes de terre à l’hectare passent chaque année par leur tube digestif, ce sont des acteurs gratuits de la qualité d'un sol. Enfin, si toutefois le territoire a été cultivé selon des pratiques agricoles "douces", ils sont un maillon non négligeable de la chaîne alimentaire de beaucoup oiseaux.
De l'écosystème, quel qu’il soit, au lombricompostage
Cette synthèse permet d’aborder les différentes classifications de vers, la systématique des espèces, les techniques d’observation, la gestion et l’interprétation de données. Mais elle a bien d'autres qualités !
Pour expliquer ce sujet très pointu autant qu'universel, l’auteur le situe dans l’évolution des espèces et dans l’histoire des sciences du vivant, en y mêlant son cursus de chercheur et en donnant idée des publications internationales. Il fait prendre de la distance sur les résultats anciens tout en replaçant ses propres résultats à leur juste proportion. Le lecteur passera aussi par une analyse "cruelle" de l'écotoxicologie, telle qu'elle semble pratiquée depuis des décennies. M. Bouché est également critique sur son parcours, explicitant les difficultés à transmettre des connaissances en dehors du milieu de la recherche ; il montre l'ampleur du défi, dévoilant ses engagements ou ses replis dans des aventures... parfois sans lendemain. Enfin, l’ouvrage explique en quoi l'agriculture dite "conventionnelle" en France se trompait de chemin, dans sa persistance à ne pas mieux prendre en compte la vie des sols.
Malgré des paroles sévères pour les "technosciences", malgré un anthropomorphisme que l’auteur lui-même tient bien à distance, ce livre passionnant est facile à aborder. Il constitue une ouverture pour comprendre pourquoi le mot "environnement" ne veut rien dire, et surtout quand on ne creuse pas à fond le sujet. Le lecteur ne pourra plus fouler un sol, et encore moins une terre agricole, sans penser à ceux qui oeuvrent en dessous de ses pieds !
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